CM12 : l’opportunité de trouver une solution durable pour la détention de stocks publics
Les programmes de détention de stocks publics d’aliments sont essentiels à la sécurité alimentaire, mais ils peuvent présenter plusieurs problèmes pour de nombreux pays en développement. Tanvi Sinha du Commonwealth et Joe Glauber du International Food Policy
Le rapport « Obtenir/Se procurer des stocks de denrées alimentaires au titre des règles de l’Organisation mondiale du commerce sur les subventions agricoles » identifie les options qui s’offrent aux négociateurs et décideurs politiques en vue d’une solution permanente au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au problème auquel certains pays en développement font face à l’heure d’acheter des denrées alimentaires à des prix fixés (ou administrés) par le gouvernement au titre de leurs programmes de détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire. Si ces programmes de détention de stocks publics sont essentiels aux fins de la sécurité alimentaire, ils ont le potentiel d’affecter les producteurs dans d’autres pays en créant une distortion des prix du marché et des échanges.
Au titre de l’Accord sur l’agriculture de l’OMC, les achats publics aux fins des programmes de détention de stocks publics sont exempts de l’application des disciplines si les stocks sont achetés aux prix courants du marché. Toutefois, si les stocks sont achetés à un prix administré pré-annoncé, ces dépenses pourraient éventuellement être prises en compte dans le calcul du soutien total d’un pays donné entraînant une distortion des échanges. Certains pays en développement sont préoccupés par le fait que leurs achats de denrées alimentaires à des prix fixes au titre de ces programmes pourraient pousser les dépenses au-delà du seuil autorisé, les privant donc de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour parvenir à la sécurité alimentaire nationale. Dans ce contexte, l’Inde et d’autres pays de la coalition de pays en développement G33 ont appelé les membres de l’OMC à convenir d’« une solution permanente », suite à la décision de Bali en 2013 de protéger ces programmes contre toute contestation juridique dans certains circonstances.
Si ces programmes de détention de stocks publics sont essentiels aux fins de la sécurité alimentaire, ils ont le potentiel d’affecter les producteurs dans d’autres pays en créant une distortion des prix du marché et des échanges.
Cette question a surtout été mise en avant par le groupe de pays du G33, qui plaide en faveur de l’exemption généralisée de ces programmes de l’application des seuils de l’OMC. Leurs propositions de négociation incluent, entre autres : d’exempter les denrées alimentaires achetées à des prix administrés dans le cadre des programmes de détention de stocks publics du calcul du soutien entraînant une distortion des échanges ; revoir le prix externe de référence utilisé dans le calcul du soutien des prix du marché ; prendre en compte les taux d’inflation excessifs ; redéfinir la production éligible ; inclure de nouveaux programmes ; et étendre la couverture des produits. D’autres membres se sont dits préoccupés quant au fait que cela pourrait permettre à certains grands pays membres en développement d’apporter une soutien sans limites, entraînant par là une distortion des marchés mondiaux de denrées alimentaires et agricoles, et saper la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des paysans dans d’autres pays. À cet égard, les membres ont suggéré d’exempter les programmes de détention de stocks publics mis en œuvre par les pays les moins avancés (PMA) et de permettre une exemption plus limitée si les stocks obtenus n’excèdent pas un certain pourcentage de la valeur moyenne de la production.
L’une des critiques des règles actuelles relatives aux stocks publics est que la formule utilisée pour calculer le niveau de soutien consiste en la différence entre le prix administré et le prix moyen, qui provient d’une période de référence historique (pour la plupart des membres, la période de référence est 1986-1988). Après deux décennies de stabilité relative des prix, les prix des denrées essentielles ont explosé à la fin des années 2000, et sont actuellement près de 50 % plus élevés que les prix de référence de la période 1986-1988. Les membres qui ont relevé les prix d’achats publics administrés pour tenir compte de cette inflation se trouvent maintenant en porte-à-faux, car le calcul de leur soutien interne est fondé sur ce que beaucoup qualifient de période de référence obsolète. Les projections récentes de l’Organisation de cooperation et de développement économiques et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies (Perspectives agricoles OCDE-FAO 2021-2030) suggèrent que le niveau des prix continuera d’excéder les niveaux de 1986-1988 dans la prochaine décennie.
L’une des préoccupations exprimées en lien avec l’utilisation de prix administrés pour les programmes de détention de stocks publics est qu’ils ont le potentiel de représenter un seuil plancher pour les prix du marché, stimulant les prix que les producteurs s’attendent à recevoir lorsqu’ils décident de planter telle ou telle culture. Tout comme le soutien des prix, des prix administrés élevés peuvent encourager la surproduction. Aussi, le fait de réajuster la période de base à une période marquée par des prix « élevés » peut sous-estimer le soutien apporté si les prix du marché baissent.
Compte tenu des positions de négociation (et du contexte du marché et des politiques décrits plus haut), le rapport propose les options suivantes que les négociateurs peuvent envisager pour atteindre une solution permanente pour la détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire.
- Actualiser les périodes de base utilisées pour calculer la mesure globale du soutien. Pour les pays en développement qui ont du mal à respecter les règles de l’OMC sur le soutien interne à l’heure d’acheter des denrées alimentaires pour leurs programmes de détention de stocks publics, cette option présente l’avantage de mieux refléter le degré de distortion découlant des politiques de prix de soutien minimum, en prenant effectivement en compte la mesure dans laquelle l’inflation des prix depuis la fin des années 1980 affecte l’écart entre les prix administrés et le prix externe de référence. Pour les pays exportateurs préoccupés par la capacité de ces politiques de distordre les marchés, cette option a également l’avantage de mieux refléter la mesure dans laquelle le soutien est lié aux distortions réelles des marchés. Un troisième avantage potentiel non négligeable pour tout un éventail de pays membres est qu’une telle approche pourrait également proposer une nouvelle base pour l’actualisation des règles relative au soutien agricole interne, une priorité de longue date pour de nombreux membres.
- Revoir la definition de la production éligible. Un autre élément clé dans le calcul du soutien agricole interne concerne la définition de la part de la production éligible à l’application des prix administrés. Le fait de revoir ce concept pourraient donner aux membres de l’OMC les moyens de résoudre les problèmes auxquels font face les pays en développement qui achètent des denrées alimentaires à des prix administrés au titre de leurs programmes de détention de stocks publics.
- Exempter le soutien lorsque les prix administrés sont inférieurs aux prix internationaux. Bon nombre d’études suggèrent d’exempter le soutien au titre des programmes de détention de stocks publics du calcul de la mesure globale du soutien (MGS) ou des limites de minimis lorsque les prix administrés préannoncés sont inférieurs aux prix des marchés internationaux. L’Accord sur l’agriculture précise déjà que les achats publics réalisés aux prix du marché ne sont pas nécessairement pris en compte dans le calcul du seuil MGS. Toutefois, si le gouvernement annonce des prix minimums à l’avance, ils devront en principe être pris en compte lorsque le gouvernement notifie l’OMC de son soutien interne.
- Exempter les PMA et autres petites économies. Les membres pourraient envisager d’exempter des groupes de membres de l’OMC de l’obligation de tenir compte des achats à des prix administrés dans le calcul de la MGS, ou convenir de ne pas contester le bien-fondé de leurs programmes de détention de stocks publics dans le cadre du mécanisme de règlement des différends. Compte tenu que l’achat à grande échelle de denrées alimentaires à des prix administrés exige des ressources financières considérables, la plupart des PMA ne semblent pas disposer des capacités de le faire, et ne semblent pas risquer de violer les niveaux d’engagements relatifs à l’apport d’un soutien entraînant une distortion des échanges.
- Établir une solution permanente fondée en partie sur la décision de Bali. Un article de février 2020 par l’ancien président en charge des négociations agricoles à l’OMC suggérait qu’un résultat consensuel pourrait certainement se baser en partie sur la décision de Bali, au titre de laquelle les membres de l’OMC conviendraient de ne pas contester le respect par un pays membre en développement de ses obligations au titre de l’accord sur l’agriculture. Il suggérait que les modifications visant à accroître les flexibilités dans certains domaines (par exemple la couverture produits) pourraient être compensées par des prescriptions plus robustes dans d’autres domaines (tels que les sauvegardes pour prévenir le contournement de l’accord ou des prescriptions en matière de transparence).
La 12ème conférence ministérielle de l’OMC à venir offre aux membres l’occasion de trouver une solution pérenne s’agissant des programmes de détention de stocks publics. Avec quelques ajustements techniques, la décision de Bali de protéger les programmes de détention de stocks publics contre les contestations juridiques dans certaines circonstances pourrait être l’une des façons constructives d’aller de l’avant. Ces ajustements pourraient inclure la révision du calcul de la production éligible ou la mise à jour de la méthodologie permettant de fixer le prix de référence externe, qui aurait des implications plus larges pour le calcul du soutien au titre des programmes plus généraux de soutien des prix.
La décision de Bali de protéger les programmes de détention de stocks publics contre les contestations juridiques dans certaines circonstances pourrait être l’une des façons constructives d’aller de l’avant.
Par ailleurs, la couverture pourrait être étendue pour inclure un éventail plus important de denrées alimentaires éligibles que les seules cultures vivrières traditionnelles et les nouveaux programmes pourraient être limités. Ce faisant, les dispositions anticontournement et de sauvegarde nécessaires doivent être maintenues, en plus des dispositions sur la transparence, et ces programmes devraient être inclus dans la notification du soutien interne par le membre en question. Toutefois, s’agissant des dispositions sur la transparence, les pays en développement et les moins avancés devraient bénéficier de l’assistance technique nécessaire.
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