Le projet de rapport sur le MACF du rapporteur de l’ENVI en désaccord avec le plan de la Commission sur des points clés
Le rapporteur de la commission ENVI du Parlement européen a publié un projet de rapport sur la proposition de la Commission européenne en vue d’établir un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Aaron Cosbey de l’IISD aborde six éléments du projet de rapport qui diffèrent de la proposition de la Commission européenne, mettant en lumière certains des points les plus ardus à résoudre à l’heure de finaliser un tel instrument.
Dans le cadre des dispositions climatiques du pacte vert pour l’Europe de l’Union européenne (UE), la Commission européenne a proposé un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), le paquet Ajustement à l’objectif 55. Le MACF vise à mettre les producteurs nationaux, qui seront affectés par une hausse importante de la tarification du carbone au titre du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) de l’UE, et les producteurs étrangers, qui ne sont peut-être assujettis à aucune tarification du carbone, sur un pied d’égalité. Les importateurs seront tenus d’acheter des quotas sur la base de la quantité de carbone intrinsèque à un nombre limité de biens industriels de base, tout comme les producteurs nationaux sont tenus d’acheter des quotas d’émission au titre du SEQE. Cette obligation s’applique à l’électricité, ainsi qu’à l’aluminium basique et semi-transformé, au ciment, aux engrais, au fer et à l’acier.
La Commission souhaite que le MACF entre en vigueur d’ici à 2023. Avant que cela ne soit possible, la Commission, le Parlement et le Conseil de l’UE doivent se mettre d’accord quant à la forme finale de l’instrument. La publication officieuse du projet de rapport du rapporteur de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) du Parlement européen marque le dernier développement en date dans les efforts en vue de parvenir à un tel accord. Parmi toutes les commissions du Parlement, c’est l’ENVI qui aura le plus de poids, par le biais de son rapport final, sur le vote sur le MACF du Parlement en séance plénière, prévu d’ici au 28 février.
Il existe des différences importantes entre la proposition de la Commission et le projet de rapport du rapporteur, qui mettent en lumière certaines des questions les plus ardues devant être résolues avec la finalisation du MACF. Le présent article expose six de ces différences, évaluant quelles pourraient être leurs implications pour la forme finale de l’instrument, et pour les producteurs étrangers.
Parmi toutes les commissions du Parlement, c’est l’ENVI qui aura le plus de poids, par le biais de son rapport final, sur le vote sur le MACF du Parlement en séance plénière.
Les principales différences concernent des propositions visant à :
- Raccourcir la période de transition et accélérer la pleine mise en œuvre du MACF.
- Élargir la couverture des produits pour inclure les produits chimiques basiques, les plastiques et l’hydrogène.
- Élargir la couverture des émissions pour inclure les émissions provenant de la génération d’électricité.
- Évaluer les effets du MACF sur les exportations et proposer des lois pour répondre aux éventuels problèmes.
- Consacrer des ressources provenant du budget de l’UE à l’aide aux pays en développement.
- Déclarer sans ambiguité que le MACF ne réduira pas ses taxes aux frontières pour tenir compte de la tarification étrangère implicite du carbone (c.-à-d. liée à la réglementation).
Le calendrier
La Commission a suggéré une période de transition de trois ans au cours de laquelle toutes les obligations de notification seraient en vigueur, mais aucune taxe aux frontières ne serait appliquée. Le rapporteur propose de la ramener à deux ans. De même, la proposition de la Commission envisageait une mise en œuvre progressive du MACF sur 10 ans, en parallèle de la suppression progressive des quotas gratuits d’émission au titre du SEQE, substituant l’un des mécanismes de protection par l’autre. Le rapporteur propose d’accélérer la mise en œuvre du MACF (et, probablement, la suppression des quotas gratuits) pour atteindre 100 % en seulement 4 ans*. Conjointement, ces deux modifications permettraient la pleine mise en œuvre du MACF en janvier 2029, soit sept ans plus tôt qu’au titre de la proposition de la Commission.
L’urgence est indéniable, mais le calendrier plus long prévu par la Commission laisserait plus de temps pour régler le problème fâcheux des exportations et serait moins contentieux pour les partenaires commerciaux affectés.
Il s’agirait d’une accélération significative, motivée par « l’urgence climatique et [le] propre objectif de l’Union à l’horizon 2030 »**, soit une réduction ambitieuse de 55 % par rapport aux niveaux d’émission de 1990. L’urgence est indéniable, mais le calendrier plus long prévu par la Commission laisserait plus de temps pour régler le problème fâcheux des exportations (voir ci-dessous) et serait moins contentieux pour les partenaires commerciaux affectés. Sept annnées de moins représente une grande différence pour les partenaires commerciaux qui envisagent de prendre des mesures politiques difficiles, par exemple pour encourager la décarbonisation de l’industrie nationale ou dans le but d’imposer des régimes de tarification du carbone.
La couverture
La proposition de la Commission couvre l’électricité ainsi que 29 catégories de biens répartis dans 4 secteurs. Le rapporteur suggère d’y ajouter les produits chimiques organiques, les plastiques et l’hydrogène.
Il s’agirait d’un ajout colossal. À eux seuls, les plastiques représentent une addition de plus de 1 000 produits à la liste. D’après les flux commerciaux actuels, le rapporte recommande de multiplier la valeur des importations couvertes en provenance de la Chine par près de 5. Toutefois, il est peu probable que la chaîne de valeur des plastiques ou des produits chimiques organiques soit jamais complètement couverte au titre des recommandations du rapporteur ; si la couverture était étendue, elle serait certainement limitée aux matériaux de base utilisés en amont.
Si le critère de sélection est fondé sur le risque de fuite de carbone, alors le MACF devrait couvrir ces biens. Mais la Commission s’est abstenue d’inclure les plastiques et les produits chimiques organiques dans la couverture initiale, invoquant des difficultés techniques liées à leurs importantes et complexes chaînes de valeurs en aval, et aux défis méthodologiques liés à l’attribution des émissions aux divers produits provenant des installations individuelles.
La proposition de la Commission couvre l’électricité ainsi que 29 catégories de biens répartis dans 4 secteurs. Le rapporteur suggère d’y ajouter les produits chimiques organiques, les plastiques et l’hydrogène.
Pour les producteurs étrangers, les effets se traduiraient en la forte augmentation de la valeur des biens couverts, mais aussi en la hausse commensurée des coûts des producteurs, compte tenu de la complexité des chaînes de valeur des plastiques et des produits chimiques.
Les émissions
La proposition de la Commission ne couvre que les émissions directes, c’est-à-dire celles qui sont produites sur site sous le contrôle de l’entreprise. Le rapporteur propose de couvrir également ce qu’il appelle les émissions indirectes, c’est-à-dire celles qui sont produites par la génération de l’électricité utilisée.
Du point de vue environnemental, cela est tout à fait logique puisque les émissions indirectes de nombreux biens éclipsent leurs émissions directes. Par ailleurs, les producteurs de l’UE payent pour les émissions indirectes par le biais des prix de l’électricité, et il existe donc un risque de fuite. Mais les producteurs de certains États membres de l’UE sont compensés pour les coûts indirects, ce qui les protège de la pression concurrentielle. Par ailleurs, ils craignent que l’extension de la couverture aux émissions indirectes (et la suppression de la compensation existante) n’entraîne une réorganisation des ressources, ce qui signifie que les processus de production ne changent pas, et que les producteurs étrangers réorientent tout simplement leur production « propre » à destination de l’UE, et leur production « sale » à destination d’autres pays. Les producteurs étrangers, eux, voient les choses autrement ; ils considèrent qu’il s’agit là d’une opportunité de profiter d’une production faible en carbone.
Les exportations
Il est largement (mais pas unanimement) admis que l’UE ne peut légalement rembourser les coûts du SEQE aux exportateurs, ce qu’elle aurait éventuellement pu faire si le SEQE avait été un impôt. Il s’agit d’un problème pour les secteurs européens axés sur l’exportation, qui perdraient leurs parts de marchés internationales, se trouvant incapables de concurrencer les biens non assujettis à une tarification du carbone.
Le rapporteur exigerait l’élaboration d’un rapport en 2026 sur l’impact du MACF sur les exportateurs, et de propositions de loi connexes pour régler les éventuels risques identifiés.
Si la proposition de la Commission ne mentionne pas cette difficulté, le rapporteur exigerait l’élaboration d’un rapport en 2026 sur l’impact du MACF sur les exportateurs, et de propositions de loi connexes pour régler les éventuels risques identifiés. L’on ne sait pas encore de quel type de propositions il pourrait s’agir, mais elles viseraient probablement à soutenir les exportateurs en fonction du volume de leurs exportations, ce qui pourrait être considéré comme une subvention à l’exportation prohibée au regard des règles de l’OMC.
Les pays en développement
La Commission propose que les recettes découlant du MACF soient intégrées à son budget en vue de soutenir son plan de relance verte. Le rapporteur considère que les fonds devraient être utilisés pour couvrir les dépenses liées à la gestion du MACF, et propose d’intégrer le relicat au budget de l’UE. Mais le rapporteur propose également que l’UE s’engage à accroître l’aide au développement pour « soutenir les efforts déployés par les pays les moins avancés en faveur de la décarbonation de leurs industries manufacturières » (article 24 bis). Cette aide supplémentaire ne pourrait être inférieure aux recettes générées par le MACF.
La proposition du rappoteur est plus ambitieuse et contient une disposition plus explicite que beaucoup revendiquent comme essentielle pour répondre aux intérêts des pays en développement.
La tarification implicite du carbone
La Commission et le rapporteur proposent tous deux d’accorder un crédit aux producteurs étrangers assujettis à une tarification du carbone dans leur pays d’origine. La Commission précise que le crédit n’inclut pas les coûts liés aux réglementations, ce que l’on appelle la tarification implicite du carbone, mais seulement la tarification explicite du carbone, telle que les taxes carbone ou les mécanismes de type SEQE. Le rapporteur en convient, mais s’efforce de formuler cela de manière très claire.
C’est la bonne voie, pour de nombreuses raisons, mais elle decevrait certains pays, tels que les États-Unis et l’Australie qui ne sont probablement pas près d’adopter une tarification du carbone, et qui espèrent convaincre les législateurs européens de tenir compte de leurs efforts réglementaires.
Les prochaines étapes
Le projet de rapport du rapporteur de la commission ENVI aborde certains des principaux défis liés à la conception adéquate du MACF. Ses différences par rapport à la proposition de la Commission révèlent que, dans ces domaines, une grande incertitude demeure quant à la forme finale de l’instrument, des questions de conception aux implications majeures pour les producteurs de l’UE et pour les producteurs étrangers.
Dans ce processus de trilogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil, chacun essaye d’influencer les autres ; il est donc juste de supposer que le rapport du rapporteur de l’ENVI, tout comme la position finale à venir du Parlement, implique une surenchère stratégique, c'est-à-dire qu’il vise plus haut que ce qu’il pense pouvoir obtenir au bout du compte. En général, le rapporteur souhaite un MACF plus ambitieux et plus rapide que la Commission. Peut-être anticipe-t-il une approche plus conservatrice du Conseil, qui représente les États membres, certains desquels souhaiteront retarder ou affaiblir l’instrument.
Le rapporteur souhaite un MACF plus ambitieux et plus rapide que la Commission.
L’UE est la première juridiction à tenter de mettre en place un instrument tel que le MACF. Ses partenaires commerciaux suivent de près le processus de négociation et tenteront d’influencer le résultat final dans la mesure du possible. Tout comme les pays qui envisagent de suivre la même voie : ils seront curieux de tirer les enseignements des difficultés techniques et politiques que l’UE rencontre.
*Compte tenu que le ciment est un produit représentant des échanges relativement faibles, il figure parmi les exceptions : il serait assujetti à l’ensemble du MACF immédiatement après la fin de la période de transition.
**Page 84 du projet de rapport.
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