Les membres de l’OMC sont-ils (réellement) proches d’un accord sur les subventions à la pêche ?
La réalisation d’un accord sur les subventions à la pêche capable de mettre un terme à la surpêche tout en protégeant les moyens de subsistance dans les pays en développement, exige un équilibre délicat. Alice Tipping et Tristan Irschlinger d’IISD examinent comment et pourquoi les accords présents dans le texte actuel ont été trouvés, ainsi que les éléments les plus importants du point du vue du développement durable.
Les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) négocient de nouvelles règles sur les subventions à la pêche depuis vingt ans, depuis le lancement du cycle du Programme de Doha pour le développement en 2001. Les efforts inlassables, tant du président des négociations que de la directrice générale de l’OMC ont produit un texte de négociation révisé le 8 novembre, dont on attend une nouvelle mouture dans les prochains jours. À quelques jours seulement de la 12ème Conférence ministérielle, les membres de l’OMC sont-ils (vraiment) proches d’un accord ?
Le contexte
Le texte actuel témoigne d’une avancée remarquable vers la réalisation du mandat des membres (reflété également dans la cible 14.6 des ODD) visant à interdire « certaines formes de subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche », tout en garantissant un « traitement spécial et différencié efficace aux pays en développement et aux pays les moins avancés ». Ce mandat exige un équilibrage délicat.
Pour bon nombre de membres, les questions essentielles consistent à savoir si ceux qui disposent de larges flottes et de subventions importantes font « suffisamment », et si le principe du traitement spécial et différencié a été appliqué de manière appropriée pour refléter les circonstances et besoins des pays en développement.
Une partie de cet équilibre se trouve dans l’impact relatif des règles entre les membres. Pour bon nombre de membres, les questions essentielles consistent à savoir si ceux qui disposent de larges flottes et de subventions importantes font « suffisamment », et si le principe du traitement spécial et différencié a été appliqué de manière appropriée pour refléter les circonstances et besoins des pays en développement. Pour donner un peu de contexte, les cinq premières nations ou groupes dans le domaine de la pêche maritime, la Chine, le Pérou, l’Indonésie, l’Union européenne et les États-Unis, représentent 42 % de la capture totale mondiale de poisson. Les cinq premiers pays subventionneurs, la Chine, les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon et la Russie, octroient conjointement plus de 65 % des subventions couvertes par le projet d’accord. À l’autre extrémité, l’on trouve des membres de l’OMC qui représentent individuellement moins de 0,7 % de la capture mondiale de poisson. Les pays en développement appartenant à ce groupe représentent environ 11 % de la capture mondiale, et 6 % des subventions qui seront couvertes par l’accord.
Mais cet équilibrage concerne également l’impact des règles dans les contextes nationaux. Si l’on souhaite que l’accord protège réellement l’importance cruciale du secteur de la pêche pour les priorités de développement, la réduction de la pauvreté, et la protection des moyens de subsistance et de la sécurité alimentaire mentionnées dans le mandat, les exceptions qu’il contient ne peuvent pas être trop larges et permettre les subventions qui participent à l’épuisement des stocks de poisson. La prise effective par unité d’effort de la flotte mondiale, c’est-à-dire l’indicateur le plus commun pour évaluer la durabilité de la pêche, a chuté de manière spectaculaire depuis 1950, représentant une réduction de plus de 80 % dans la plupart des pays.
Deux débats politiques majeurs sont importants pour comprendre les équilibres trouvés dans le texte.
Deux débats politiques majeurs sont importants pour comprendre les équilibres trouvés dans le texte. Le premier concerne la gestion des subventions et des pêches. Le mandat demande aux négociateurs de se centrer sur les subventions qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche. Les travaux menés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) identifient plusieurs subventions, notamment celles octroyées pour l’achat de carburant ou d’appâts, qui ont des effets particulièrement marqués sur les efforts de pêche. La plupart des experts reconnaissent qu’une gestion effective des pêches, qui restreint les prises à un niveau optimal, peut réduire le risque que les subventions n’entraînent la surpêche ; ils reconnaissent également que très peu de secteurs de la pêche pratiquent une gestion aussi efficace. Une gestion réellement effective pourrait constituer une sauvegarde contre les exceptions aux subventions ; mais elle annule également la nécessité d’octroyer des subventions en premier lieu.
Le deuxième débat concerne les subventions et les exceptions aux subventions pour les petites et grandes opérations de pêche dans les pays en développement. L’argument en faveur de ces exceptions est que ces subventions sont nécessaires pour veiller à ce que la pêche puisse continuer de soutenir la sécurité alimentaire et les revenus, et pour développer les flottes dans le but d’accroître la production. L’argument en faveur d’une certaine flexibilité est sans doute particulièrement fort pour les communautés isolées qui pêchent faute d’autres moyens de subsistance (ou de mécanismes de soutien). Mais les appels à la flexibilité vis-à-vis des subventions octroyées aux opérations de pêche plus larges reflètent une priorité politique distincte, et auraient un effet beaucoup plus important que les exceptions relatives au soutien aux petites exploitations : à l’échelle mondiale, seules 19 % des subventions à la pêche sont octroyées aux petites opérations de pêche, passant même à 17 % dans les pays en développement. Pour les flottes de pêches petites et grandes, l’impact des exceptions sur les règles est inévitable : si les exceptions permettent les subventions encourageant l’épuisement des stocks de poisson, alors la sécurité alimentaire, les revenus et les perspectives de développement qui dépendent de ces ressources s’en trouveront sapés.
L’accord sous sa forme actuelle
Ce contexte permet de comprendre comment et pourquoi les membres ont réalisés ces compromis dans le texte actuel, et quels éléments de l’accord final seront les plus importants du point de vue du développement durable. Le texte lui-même contient quatre règles clé, ainsi qu’une section sur les notifications et la transparence qui a de l’importance pour l’équilibre général de l’accord.
Le texte lui-même contient quatre règles clé, ainsi qu’une section sur les notifications et la transparence qui a de l’importance pour l’équilibre général de l’accord.
Les subventions à la pêche INN
La première règle (article 3 du projet de texte) interdit les subventions aux bateaux et aux opérateurs de bateaux qui ont fait l’objet d’une détermination de pratique de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). L’obligation s’applique automatiquement aux membres qui octroient la subvention ; les membres ne peuvent ignorer une détermination. Les membres qui octroient la subvention peuvent déterminer la durée de l’interdiction, mais le texte exige qu’elle s’applique au moins aussi longtemps que la sanction originale ou tant que la détermination est en vigueur. La durée minimale de l’interdiction reste l’un des principaux points à résoudre. L’autre point majeur à résoudre consiste à identifier les étapes procédurales que les déterminations INN réalisées par d’autres acteurs (un autre membre ou une association régionale de gestion de la pêche (ORGP) doivent suivre, puisqu’elles peuvent déclencher l’obligation d’un membre.
Les options de libellé présentées dans le projet de texte concernent deux éléments centraux : la notification de l’État du pavillon et du membre qui octroie la subvention (s’il est connu), et la possibilité pour l’État du pavillon et le membre qui octroie la subvention de fournir des informations à prendre en considération dans la détermination. L’équilibre recherché ici devrait permettre aux membres d’ajuster la durée de l’interdiction en fonction de la gravité du délit, sans toutefois leur donner suffisamment de latitude pour contourner l’interdiction, et veiller à ce que les déterminations soient justes sans permettre trop d’intrusion dans les procédures juridiques nationales ou leur obstruction. Un tel équilibre ne semble pas impossible à atteindre.
Les stocks surexploités
La deuxième règle (article 4) aborde directement les éléments du mandat liés à la durabilité, puisqu’elle prévoit l’interdiction des subventions à la pêche concernant un stock surexploité. Ici, la question consiste à déterminer l’ampleur des exceptions. De nombreux membres arguent qu’une exception accordée aux seules fins de la reconstitution des stocks (par exemple les subventions en faveur d’équipement de pêche plus sélectifs) est insuffisante. D’autres avancent que l’état des stocks implique que seules ces subventions sont justifiables. Là encore, il semble possible d’atteindre un compromis (peut-être en exigeant la gestion effective si les exceptions sont élargies).
Dernier point notable ici, les articles 3 et 4 contiennent tous deux le traitement spécial et différencié pour les membres en développement sous forme de « périodes de grâce » pour les subventions au titre de ces règles accordées aux petites opérations de pêche côtières.
La surcapacité et la surpêche
Cet ensemble de règles (article 5) déterminera probablement le degré d’impact de l’accord. La principale interdiction dresse la liste des subventions considérées comme contribuant à la surcapacité et la surpêche. Ces subventions sont interdites sauf si un membre « démontre que des mesures sont mises en œuvre pour maintenir le(s) stock(s) dans la (les) pêcherie(s) pertinente(s) à un niveau biologiquement durable ». Certains membres restent opposés à la considération de certaines subventions comme contribuant à la surcapacité et la surpêche, tandis que d’autres s’opposent à la flexibilité du qualificatif, qui selon eux n’exige pas clairement que les mesures soient réellement à même de maintenir la durabilité des stocks. Mais une telle approche hybride, c’est-à-dire, la considération que certains types de subventions contribuent à la surcapacité et la surpêche, accompagnée du qualificatif de la gestion, semble être la seule possibilité de concevoir l’interdiction principale d’une manière acceptable pour les membres.
L’interdiction principale est assujettie aux exceptions relatives au traitement spécial et différencié pour les pays membres en développement. Celles-ci incluront probablement des exemptions à la principale interdiction (et son qualificatif de gestion) pour :
- Les subventions accordées par les pays en développement pour la pêche dans leur propre zone économique exclusive (ZEE) et dans les zones des ORGP pendant une période déterminée ; le point d’achoppement est ici la durée de l’exemption. Les données présentées aux ateliers organisés par l’IISD suggèrent qu’environ 50 % de la capture mondiale et 61 % des efforts de pêche mondiaux ont lieu dans les ZEE des pays membres de l’OMC en développement (en excluant la pêche dans les zones ORGP).
- Les subventions accordées par les pays en développement membres à la pêche générant peu de revenus, disposant de peu de ressources et de subsistance (le principal point d’achoppement est la géographie : certains membres plaident en faveur d’une limite de 12 miles nautiques depuis la côte, d’autres pour une limite de 200 miles nautiques). Si la zone est étendue à 200 miles nautiques, cette exception pourrait exclure environ 15 % de la capture mondiale, 34 % à 45 % des efforts de pêche mondiaux et 5 % des subventions couvertes par l’accord.
- Les subventions accordées par les pays en développement membres qui représentent individuellement moins que le niveau de minimis (0,7 % de la capture mondiale, et peut-être un certain niveau de subvention). Compte tenu du seuil fixé à 0,7 % dans le texte actuel, cette flexibilité exempterait environ 11 % de la capture mondiale et 16 % des efforts mondiaux de pêche.
- Les subventions accordées par les pays membres les moins avancés. Cette exemption couvrirait environ 7 % de la capture mondiale, 5 % des efforts mondiaux de pêche et 1,7 % des subventions couvertes par l’accord.
la considération que certains types de subventions contribuent à la surcapacité et la surpêche, accompagnée du qualificatif de la gestion, semble être la seule possibilité de concevoir l’interdiction principale d’une manière acceptable pour les membres.
Point important, un libellé du texte exige des membres utilisant l’une des exceptions qu’ils « s’efforce[nt] de faire en sorte que [leurs] subventions ne contribuent pas à la surcapacité ou à la surpêche ».
En plus d’interdire certains types de subventions, le texte contient des règles sur les subventions qui sont « subordonnées à » la pêche dans des zones en dehors de la juridiction nationale, sur les subventions à la pêche dans les zones de haute mer non réglementées, et les subventions aux bateaux sans pavillon (ou non assujettis au contrôle) du membre qui octroie la subvention. Nombreux sont les membres qui considèrent la règle relative aux zones de haute mer comme un intérêt offensif important, car elle pourrait contribuer à réduire l’activité fortement subventionnée des flottes distantes qui pêchent en haute mer juste à l’extérieur des frontières des ZEE des États côtiers, et qui s’opposent à ce qu’elles soient assujetties à des exemptions importantes. L’équilibre général de cet article clé devra être trouvé entre la règle relative aux zones de haute mer et à toute éventuelle exception connexe, l’interdiction principale et son qualificatif de gestion, et l’ampleur des dispositions relatives au traitement spécial et différencié.
La transparence et les notifications
Le dernier élément significatif de l’équilibre de l’accord concerne l’ensemble des prescriptions relatives à la transparence et aux notifications. Si bon nombre des exceptions décrites plus haut sont potentiellement assez larges, les obligations de notification sont conçues de manière à rendre transparente l’utilisation des exceptions par les membres. Par exemple, les membres ne peuvent invoquer une exception que pour des mesures qu’ils ont notifiées, notamment les activités de pêche subventionnées et la prise en question. Ils ne peuvent invoquer les exceptions liées à la gestion (telles que le qualificatif de l’interdiction principale) que pour les subventions pour lesquelles ils ont également notifié les mesures de gestion en place ainsi que le statu des stocks concernés, ce qui donne au moins une indication approximative de l’efficacité des mesures.
Un accord de compromis
Le texte place les membres (à quelques questions près) dans une situation où les décisions restantes concernent toutes l’équilibre des droits et des obligations entre les gouvernements, et la manière dont ils s’accordent avec les attentes : les interdictions de la pêche INN, des stocks surexploités, et de la pêche contribuant à la surcapacité et la surpêche, assorties de leurs qualificatifs et exceptions respectifs, induisent-elles suffisamment de changement dans les tendances des subventions ? Et les dispositions relatives au traitement spécial et différentié répondent-elles aux exigences essentielles (et politiques) de traitement différencié, tout en protégeant l’impératif de durabilité qui permettra la réalisation à long terme des priorités de développement ?
Les membres semblent tout près de conclure un accord.
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