Que peut-on attendre des négociations sur l’agriculture à la CM12 ?
La 12ème conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce arrive à grands pas, et il s’avère difficile d’atteindre un consensus dans sept domaines agricoles clé, allant du soutien interne aux restrictions à l’exportation. Facundo Calvo d’IISD analyse certains des résultats probables des négociations, et scénarii auxquels nous pouvons nous attendre.
En juillet, l’ambassadrice Gloria Abraham Peralta, présidente de la session extraordinaire du Comité de l’agriculture, a diffusé un projet de texte de négociation pour faciliter l’atteinte d’un consensus entre les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à l’occasion de la 12ème Conférence ministérielle (CM12). Le projet de texte propose des « projets » de décisions ministérielles dans sept domaines de négociation : le soutien interne, l’accès aux marchés, la concurrence à l’exportation, les restrictions à l’exportation, le coton, la détention de stocks publics aux fins de la sécurité alimentaire (DSP), et le mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS). Il contient également une proposition de décision ministérielle sur la transparence, question transversale âprement débattue entre les membres de l’OMC.
À quelques jours seulement du lancement de la CM12, les positions des membres de l’OMC dans les sept domaines de négociations restent très éloignées.
À quelques jours seulement du lancement de la CM12, les positions des membres de l’OMC dans les sept domaines de négociations restent très éloignées. Comme l’a souligné l’ambassadrice Abraham Peralta à la mi-octobre, les membres de l’OMC se trouvent maintenant face à un choix : trouver une manière de réduire l’écart entre leurs positions respectives, ou ajuster leur niveau d’ambition. S’ils conservent leurs positions distinctes dans ces domaines de négociation, la CM12 ne produira qu’un résultat modeste sur l’agriculture, centré sur les questions où les vues des membres sont moins tranchées. Il en résulterait donc, pour certains domaines de négociation, des programmes de travail permettant d’orienter les discussions post-CM12 sur l’agriculture.
Pourtant, il semble possible d’obtenir un résultat positif dans au moins un des domaines de négociation. Les membres de l’OMC pourraient avancer sur la question des restrictions à l’exportation en décidant de ne pas imposer d’interdictions ou de restrictions à l’exportation des denrées alimentaires acquises à des fins humanitaires non commerciales par le Programme alimentaire mondial (PAM). Ces restrictions pourraient affecter les achats publics du PAM en faveur des pays en développement, entraînant l’allongement des délais, la hausse des coûts du transport, et dans le cas de l’interdiction des exportations, des pertes d’aliments et la hausse des coûts d’achat. Compte tenu de la nature humanitaire de cette décision et des activités menées par le PAM, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2020 pour ses efforts de lutte contre la faim, et pour sa contribution à la paix dans les zones de conflit, il semblerait d’un résultat positif soit à portée de main.
Toutefois, les membres doivent se mettre d’accord sur un libellé qui tienne compte des intérêts et préoccupations de tous, notamment de ceux qui ont émis des doutes quant à leur propre sécurité alimentaire, à la nécessité de préserver la marge de manœuvre politique, et à l’ampleur de l’exemption relative au PAM. Toute décision sur l’exemption relative au PAM à la CM12 exigera de répondre à ces préoccupations (c.-à-d. grâce à un équilibre approprié des objectifs et exceptions) sans entraver son principal objectif : faciliter les travaux du PAM.
Les membres de l’OMC pourraient avancer sur la question des restrictions à l’exportation en décidant de ne pas imposer d’interdictions ou de restrictions à l’exportation des denrées alimentaires acquises à des fins humanitaires non commerciales par le Programme alimentaire mondial.
S’agissant du soutien interne, l’établissement d’un programme de travail présentant certains objectifs, principes et un calendrier permettrait de jeter les bases des négociations post-CM12 sur les manières spécifiques de réduire le soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges, c’est-à-dire les « modalités ». Dans certains cas, le programme de travail sur le soutien interne devrait contenir un objectif de réduction et un calendrier convenus par les membres de l’OMC. Toutefois, comme l’a soulignée l’ambassadrice Abraham Peralta dans son rapport du 1er novembre, certaines différences clé persistent entre les membres de l’OMC sur ces questions. Certains avancent qu’un accord sur un objectif de réduction est irréaliste, tandis que d’autres se disent plus à l’aise avec des engagements moins importants (par ex. des « réductions substantielles » du soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges) devant être réalisés selon un calendrier défini ultérieurement.
Les membres de l’OMC ne sont pas non plus d’accord sur les types de soutien interne devant être réformés. Si certains groupes sont en faveur de la réduction de toutes les formes de subvention relevant de l’article 6 de l’Accord sur l’agriculture (l’Accord), un autre groupe préfère l’approche des « catégories » qui distingue divers types de subventions et les traite différemment. Bon nombre de membres développés de l’OMC souhaitent conserver les subventions à l’investissement généralement disponibles ainsi que les subventions aux intrants généralement disponibles pour les producteurs à faible revenu ou disposant de peu de ressources dans les pays en développement, qui relèvent de la dite « catégorie développement » (article 6:2 de l’Accord). Un autre désaccord important concerne l’ensemble des subventions qu’un groupe de 32 membres de l’OMC peut accorder au moyen de la mesure globale de soutien au-delà du niveau de minimis offert à tous les membres.
La détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire est un autre domaine où des points de vue forts et divergents persistent.
La détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire est un autre domaine où des points de vue forts et divergents persistent. Les partisans d’une solution permanente sur la DSP souhaite la négocier de manière séparée. D’autres membres de l’OMC préfèrent l’intégrer aux autres domaines de négociation, notamment le soutien interne. D’importantes questions demeurent irrésolues dans le domaine de la DSP. D’abord, ses partisans accepteraient-ils un résultat inférieur à une solution permanente à la CM12, tel qu’un programme de travail ? Ensuite, les non partisans accepteraient-ils un résultat en la matière en l’échange de résultats significatifs dans d’autres domaines de négociation, dans le secteur de l’agriculture ou ailleurs ?
À supposer que les deux groupes soient disposés à convenir d’un programme de travail sur la DSP à la CM12, un tel arrangement pourrait jeter les bases pour répondre aux questions suivantes après la conférence : (i) la couverture des programmes et des produits ; (ii) comment prévenir les effets de distorsion des échanges et de la sécurité alimentaire des membres au moyen des obligations de transparence (c.-à-d. la notification des programmes de DSP), les mécanismes anti-contournement, et les sauvegardes ; et (iii) le statut juridique d’une solution permanente après la CM12.
Ces dernières années, les discussions sur l’accès aux marchés dans le domaine de l’agriculture n’ont guère progressé à l’OMC. Par ailleurs, bon nombre de membres ont eu recours aux accords de libre-échange pour accroître l’accès aux marchés de leurs produits agricoles (et autres). Si certains éléments d’un programme de travail post-CM12 sur l’accès aux marchés sont garantis, il sera très difficile d’organiser ce programme avec les discussions sur le soutien interne, et de faire le lien avec les négociations sur l’accès aux marchés des produits non agricoles. De la même manière, l’absence de progrès sur l’accès aux marchés pourrait affecter les négociations dans d’autres domaines, en particulier le soutien interne et la DSP.
Si les membres de l’OMC se mettent d’accord sur un programme de travail post-CM12 sur l’accès aux marchés des produits agricoles, ils devront également décider de son degré de détail. Un appel général à revigorer les négociations sur l’accès aux marchés des produits agricoles, tel que proposé par l’ambassadrice Abraham Peralta dans son projet de texte, semble faisable. Il pourrait s’inspirer de l’article 20 de l’Accord, qui reconnaît que l’objectif à long terme d’une réduction substantielle et progressive du soutien et de la protection, donnant lieu à une réforme en profondeur, est un processus continu.
Les négociations sur un MSS qui pourrait être utilisé par un plus grand nombre de pays en développement, et incluant davantage de produits agricoles pourraient certainement bénéficier de discussions techniques approfondies sur les seuils et les recours prévus.
Le MSS est un autre domaine qui a enregistré peu de progrès ; ce mécanisme permet aux membres en développement de l’OMC de relever leurs droits de douane de manière temporaire en cas de chute des prix ou d’un afflux des importations. Les négociations sur un MSS qui pourrait être utilisé par un plus grand nombre de pays en développement, et incluant davantage de produits agricoles pourraient certainement bénéficier de discussions techniques approfondies sur les seuils et les recours prévus. Toutefois, l’absence de débat technique n’est pas la seule difficulté à un résultat en la matière. Bon nombre de membres de l’OMC considèrent que les progrès dans ce domaine sont liés aux discussions sur l’accès aux marchés des produits agricoles. Dans ce contexte, il est probable que le MSS (tout comme les autres domaines de négociations au Comité de l’agriculture en session extraordinaire) fasse l’objet d’un programme de travail pour orienter les discussions post-CM12.
Si la CM12 ne peut produire aucun résultat tangible dans les domaines du soutien interne, de l’accès aux marchés ou de la DSP si ce n’est quelques programmes de travail, quel résultat peut-on attendre des autres domaines de négociation, en plus de l’exemption relative au PAM ?
Il semble possible d’atteindre un résultat positif sur certains éléments de la transparence. Ce résultat pourrait se présenter sous la forme d’une décision ministérielle générale, accompagnée d’éléments spécifiques de transparence dans certains domaines de négociation. S’agissant du soutien interne, les membres de l’OMC pourraient convenir de présenter leurs notifications dues, et d’inclure les données relatives à la valeur de la production. De même, ils pourraient améliorer la transparence dans le domaine du coton en mettant à jour et en clarifiant le questionnaire semestriel sur le coton et les obligations de notification en la matière. D’autres éléments de transparence dans le domaine du coton pourraient inclure une mention des travaux menés par le Mécanisme du cadre consultatif du Directeur général en faveur du coton, qui s’intéresse à l’aspect développement du coton, ainsi que les efforts renouvelés visant à évaluer les effets de la pandémie de Covid-19 sur les producteurs de coton dans les pays les moins avancés et les pays du Coton-4, tels que cette étude de l’OMC.
Il semble possible d’atteindre un résultat positif sur certains éléments de la transparence.
D’autres éléments de la transparence devront répondre aux préoccupations des non partisans avant d’avoir une quelconque chance de devenir des résultats, que ce soit à la CM12 ou plus tard. S’agissant de l’accès aux marchés, les membres de l’OMC pourraient adopter des meilleures pratiques pour changer (sur le principe de l’effort maximal) les droits de douane appliqués au titre de la nation la plus favorisée. Toutefois, cet élément de transparence semble faire face aux grandes difficultés compte tenu des adaptations législatives et logistiques nécessaires à sa mise en pratique. De même, le calendrier de préavis des restrictions à l’exportation au titre de l’article 12:1(b) de l’Accord devra aussi peut-être être adopté sur la base de l’effort maximal, compte tenu des divergences de vue et des préoccupations soulevées par certains membres s’agissant de la mise en œuvre d’un tel calendrier.
Les négociations sur le coton illustrent la manière dont certains membres considèrent la transparence : nécessaire, mais insuffisante. Même si l’on peut s’en réjouir dans ce contexte pré-CM12 difficile, les améliorations isolées dans le domaine de la transparence ne peuvent cacher le fait que de profondes questions restent sans réponse. Dans le cas particulier du coton, la question épineuse de comment réduire le soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges de manière ambitieuse, rapide et dans le cadre des négociations sur l’agriculture (comme l’impose la décision du Conseil général du 1er août 2004, et comme l’a rappelé la déclaration ministérielle de Hong Kong de 2005) restera sans réponse à moins que les membres de l’OMC n’agrémentent leur engagement technique à Genève d’une volonté politique suffisante. À la CM12, les ministres du Commerce auront besoin de ces deux attributs.
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