La voie vers un traité sur la pollution (marine) par les plastiques
En mars 2022, l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement a adopté la Résolution 5/14 visant à mettre un terme à la pollution par les plastiques au moyen d’un instrument international juridiquement contraignant. Tallash Kantai, associée de IISD, discute des origines de ce processus et examine la manière dont l’environnement et les échanges peuvent interagir pour garantir un traité juste et ambitieux pour lutter contre la pollution par les plastiques.
En mars 2022, l’ensemble des membres de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (ANUE) ont adopté la résolution 5/14 visant à mettre fin à la pollution par les plastiques au moyen d’un instrument international juridiquement contraignant. Cela représente l’aboutissement d’années de travail de la société civile et des groupes de défense des droits, soutenus par la pression croissante du public en faveur d’une action contre la pollution plastique. La résolution a établi un comité de négociation intergouvernemental (CNI) chargé de régler les détails complexes d’un nouveau traité sur la pollution plastique. Mais comment le monde en est-il arrivé là, à portée d’un traité mondial contraignant ? Quelles sont les clés pour débloquer un accord applicable visant à réduire la pollution plastique partout dans le monde ? Cet article remonte aux origines de ce processus et explore la manière dont l’environnement et le commerce peuvent interagir pour garantir un traité équitable et ambitieux pour mettre un terme à la pollution plastique.
La pollution par les plastiques : un défi en constante évolution
Le plastique est une matière omniprésente, tout comme la pollution par les plastiques : des déchets plastiques ont été trouvés sur les plus hauts sommets des montagnes et dans les plus grandes profondeurs de l’océan. Au cours de la dernière décennie, la pollution plastique a capté l’attention du public, et les communautés du monde entier jouent un rôle croissant dans la lutte contre ce phénomène. Nous avons assisté à des campagnes et à un plaidoyer remarquables de la part de groupes tels que le collectif mondial Break Free From Plastic, qui plaide pour un changement systémique dans la production et la consommation de plastique. Les médias se sont également engagés dans la lutte contre la pollution plastique, ce qui a permis de sensibiliser davantage le public à cette question complexe.
Il n’y a pas de division politique quant à la nécessité de réduire la pollution plastique ; les dirigeants du monde entier s’accordent sur la nécessité de s’attaquer à ce problème. Toutefois, les avis divergent quant à la manière de s’y prendre. Considéré au départ comme un problème de pollution marine, les solutions proposées comprenaient le nettoyage des plages et les technologies de nettoyage des océans. Ces solutions pourraient être régies au niveau local et national, avec une certaine supervision régionale le cas échéant. Cependant, il est désormais de plus en plus évident que la pollution plastique est un problème terrestre et non océanique.
Les dirigeants du monde entier s’accordent sur la nécessité de s’attaquer à ce problème. Toutefois, les avis divergent quant à la manière de s’y prendre.
En 2015, une équipe de chercheurs a contribué à quantifier le problème, estimant que 4,8 millions de tonnes (Mt) à 12,7 Mt de plastique ont pénétré dans l’environnement marin en 2010. L’année 2015 a également vu le monde s’accorder sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et les 17 Objectifs de développement durable (ODD), notamment l’ODD 14, qui porte sur la vie aquatique, y compris les menaces dues aux déchets plastiques marins.
La situation actuelle
En réponse à l’Agenda 2030 et aux ODD, aux preuves scientifiques de plus en plus nombreuses et à la pression croissante du public, les États et les parties prenantes ont commencé à réfléchir à la meilleure façon de lutter contre la pollution plastique en milieu marin. Par exemple, lors de la réunion de 2017 des Conventions de Bâle, de Rotterdam et de Stockholm (qui traitent de l’utilisation, du commerce et des mouvements transfrontières des produits chimiques dangereux), les États parties ont entendu une proposition visant à inclure les plastiques marins et les microplastiques dans leur programme de travail, car certains des produits chimiques contenus dans les plastiques sont dangereux.
La même année, l’étude la plus complète jamais produite sur le devenir de tout le plastique estimait que 8,3 milliards de tonnes de plastique avaient été produites depuis 1950, dont 6,3 milliards de tonnes existent désormais sous forme de déchets plastiques. Lors de la Conférence sur les océans de 2017, les participants ont notamment mis l’accent sur la pollution plastique marine, les acteurs du secteur privé et d’autres partageant leurs activités pour enrayer cette menace très visible.
Faisant fond sur tout cela, l’ANUE a convenu en décembre 2017 de s’attaquer aux déchets marins et aux microplastiques en créant un groupe d’experts chargé d’examiner les options de réponse existantes et potentielles. S’étant réuni quatre fois en 3 ans, le groupe d’experts a regardé au-delà des déchets marins et a examiné un éventail plus large de la chaîne d’approvisionnement en plastique. Parallèlement aux travaux du groupe d’experts de l’ANUE, les négociateurs en charge des produits chimiques et des déchets, réunis à Genève en 2019, ont modifié la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination afin d’inclure certains plastiques parmi les matières dangereuses visées par la convention.
Dans sa recommandation à l’ANUE en 2021, le groupe d’experts a proposé de créer un comité de négociation intergouvernemental pour convenir d’un nouveau traité. L’ANUE a repris et longuement abordé cette recommandation en 2022, aboutissant à l’adoption de la résolution 5/14 pour « Mettre fin à la pollution plastique : vers un instrument international juridiquement contraignant ». Concrètement, la résolution appelle à l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, y compris en milieu marin.
Les préparatifs de la première réunion du CNI, prévue pour la fin novembre 2022, battent déjà leur plein. Fin mai, les délégués se sont réunis en groupe de travail pour définir les paramètres de la première réunion, notamment en convenant des règles de procédure qui régiront le processus du CNI et en fixant le nombre de réunions pour le processus de négociation.
Éléments clés pour un traité robuste
Produit de la production de plastique vierge, qui est lui-même un produit des industries pétrolière, gazière et pétrochimique, le plastique est le produit final de multiples utilisations et activités quotidiennes ; certains sont essentiels, d’autres jetables. Les plastiques à usage unique, notamment les emballages, représentent 85 % des déchets présents dans les décharges. Pour qu’il porte ses fruits, le traité devra limiter ou éliminer complètement la production de plastique vierge, créer une industrie du recyclage pour traiter les 7 milliards de tonnes de déchets plastiques déjà en circulation, et créer une économie circulaire honnête, juste et durable pour les plastiques.
L’ensemble des 193 États membres des Nations Unies disposent d’un siège à la table des négociations, et d’une voix égale sur la meilleure manière de mettre un terme à la pollution par les plastiques. Les plus gros producteurs de plastique vierge préféreront peut-être un traité moins contraignant, tandis que d’autres préféreront un traité assorti d’obligations contraignantes plus fortes, notamment s’agissant des protections internationales contre toutes les formes de ce qui revient finalement à un déversement de déchets plastiques. Le défi consiste maintenant à équilibrer les divers intérêts des États sans limiter l’ambition du futur traité ni entraver sa mise en œuvre.
Le défi consiste maintenant à équilibrer les divers intérêts des États sans limiter l’ambition du futur traité ni entraver sa mise en œuvre.
Ce défi comporte plusieurs écueils potentiels. D’emblée, l’on peut tirer des enseignements des traités portant sur les produits chimiques et les déchets. Dans ces contextes, les parties ont été confrontées à des menaces de mise en œuvre au fil des ans, notamment s’agissant de la meilleure façon de définir et de traiter les déchets. L’une des principales lacunes concerne le commerce des déchets en vue de leur recyclage de manière écologiquement rationnelle. Le commerce des déchets existe parce qu’il est moins coûteux de les exporter que de développer des infrastructures de recyclage locales, ce qui nécessite à la fois des investissements financiers et de la place.
Ici, les difficultés sont doubles : le commerce des déchets n’est pas soumis à un contrôle international mais s’effectue sur une base bilatérale. La deuxième partie est encore plus complexe : l’infrastructure de recyclage existe-t-elle dans l’État importateur ? Le recyclage (si l’infrastructure existe) de certains matériaux (dont les plastiques) peut-il être effectué de manière écologiquement rationnelle ? Quelle entité, entre l’importateur et l’exportateur, décide et contrôle quelles pratiques de recyclage répondent à la désignation « écologiquement rationnelle » prévue par les traités sur les produits chimiques et les déchets ? C’est pour ces raisons que le commerce des déchets est souvent assimilé au déversement de déchets, une question que le nouvel instrument international juridiquement contraignant devra examiner attentivement.
Les déchets plastiques destinés au recyclage font l’objet d’un commerce international depuis des décennies. Ils sont principalement exportés par des pays riches vers des pays plus pauvres. La Chine était le principal pays destinataire des déchets plastiques jusqu’en décembre 2017, suivant la présomption que ces déchets étaient en fait une matière première pour une industrie du recyclage dynamique qui transformerait les déchets en nouveaux produits destinés à l’exportation. Après cela, le pays a interdit les importations de déchets plastiques, instituant la politique de l’Épée nationale et semant le chaos dans le commerce mondial du plastique. Quelques autres pays importateurs de déchets dans la région ont rapidement suivi l’exemple de la Chine, tandis que d’autres ont pris en charge une fraction du fardeau des importations de déchets laissé par le retrait de la Chine.
En 2020, la plupart des déchets et débris plastiques provenaient du Japon, des États-Unis et de la France, tandis que les principaux importateurs nets cette année-là étaient la Turquie, la Malaisie et le Vietnam.
C’est à partir de l’évaluation de l’effondrement du commerce des déchets plastiques que les discussions sur la manière de traiter les déchets plastiques ont véritablement commencé. Mais les raisons de cet effondrement demeurent. La première est la surproduction de plastique vierge, qui entraîne une surproduction d’articles à usage unique non essentiels et un suremballage, d’où une explosion des déchets plastiques. La deuxième est un déséquilibre de la politique environnementale aux niveaux national et régional et des lacunes dans la politique commerciale, permettant l’exportation de ces déchets plastiques des pays développés vers les pays en développement. La troisième est un manque de surveillance mondiale des pratiques de gestion écologiquement rationnelles en matière de gestion des déchets plastiques.
Pour renforcer ces points faibles et d’autres points faibles potentiels dans la mise en œuvre du nouveau traité visant à mettre fin à la pollution plastique, la discussion doit porter à la fois sur les dimensions environnementales et commerciales. Heureusement, en 2020, l’Organisation mondiale du commerce a lancé le Dialogue informel sur la pollution par les plastiques et un commerce des plastiques écologiquement durable (DIP). Cependant, il n’est pas clair, à l’heure où d’écrire ces lignes, si le DIP en tant qu’entité participera aux réunions du CNI.
La discussion doit porter à la fois sur les dimensions environnementales et commerciales.
Il y a des avantages et des inconvénients à ce que les processus se chevauchent. Les avantages résident dans le fait que les États membres impliqués dans les deux processus sont probablement les mêmes, et donc le chevauchement peut faciliter le partage d’informations entre les secteurs. L’inconvénient, principalement pour l’aspect environnemental, est que les dimensions environnementales ont historiquement été considérées comme subordonnées aux questions économiques et commerciales. Dans plusieurs cas, les questions liées au commerce examinées dans le cadre d’un processus d’accord multilatéral sur l’environnement sont mises de côté pour permettre à l’organe commercial de prendre l’initiative. Dans de nombreux cas, il n’y a pas d’évolution sur le front du commerce, ce qui entraîne un décalage dans la mise en œuvre. Cela a, par exemple, conduit au déversement de déchets électroniques dans les pays d’Afrique et d’Asie, car la faiblesse des politiques commerciales permet le commerce de matériaux obsolètes malhonnêtement étiquetés comme produits pouvant être réutilisés ou recyclés. La gestion de ces « produits » a des effets négatifs sur la santé humaine et l’environnement.
Pour que le traité sur la pollution par les plastiques soit un succès, il faudra combler ce vide réglementaire. Le meilleur moyen d’y parvenir est que le DIP ait un siège à la table du CNI et contribue aux discussions sur la manière de renforcer le traité dès le départ. La lutte contre la pollution plastique sera un défi multisectoriel, multi-industriel et interministériel, à l’instar de la lutte contre le changement climatique. Grâce à la conclusion fructueuse de l’accord visant à réduire les subventions à la pêche, qui présente des co-bénéfices pour le commerce et l’environnement, le monde a vu qu’il est possible et productif que les domaines de l’environnement et du commerce interagissent au profit de l’humanité tout entière. Les projecteurs sont maintenant braqués sur les négociations visant à mettre fin à la pollution par les plastiques.
Tallash Kantai est une chercheure indépendante spécialisée dans le plastique, et associée d’IISD, basée à Nairobi. Elle est également auteure et cheffe d’équipe au Earth Negotiations Bulletin.
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