Mais où va l’Organisation mondiale du commerce ?
La plupart des membres s’accordent à dire que l’OMC doit être réformée pour résoudre les problèmes actuels, tels que ceux liés à sa fonction de négociation, au système de règlement des différends, à la transparence dans ses comités réguliers, et au rôle du secrétariat. Ieva Baršauskaitė et Alice Tipping de l’IISD présentent les questions devant être examinées, les priorités des membres et la manière de mener la réforme.
Lorsque la douzième Conférence ministérielle de l’OMC (CM12) fut, une fois de plus, reportée tard dans la soirée du 26 novembre 2021, quelques jours à peine avant le lancement prévu de la réunion, alors que de nombreuses délégations étaient déjà arrivées sur place, certains ont affirmé que l’organisation avait tout connu, sauf la guerre.
Quelques mois plus tard, en février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a balayé tout espoir de rassembler les ministres au printemps. Déjà mis à mal par la crise des chaînes d’approvisionnement causée par la pandémie de COVID-19, le commerce international a subi un nouveau coup dur lié aux effets connexes des pénuries mondiales de blé, d’engrais et, par effet de ricochet, d’autres céréales, ainsi que de la hausse des prix de l’énergie. Tout cela combiné à des ripostes politiques chaotiques et aux problèmes dans les transports découlant de la pandémie qui n’en finit pas. L’Organisation mondiale du commerce a revu à la baisse ses prévisions de croissance du volume du commerce des marchandises à 3 % en 2022, contre 4,7 % précédemment, et 3,4 % pour 2023.
L’OMC n’a jamais été aussi essentielle qu’à l’heure actuelle. Toutefois, les questions quant à la capacité de l’organisation de fournir une réponse rapide à la crise mondiale semblent encore plus légitimes après deux années de discussions sur sa riposte à la pandémie, qui n’ont toujours pas abouti. Alors qu’ils ont mené les négociations sur les subventions à la pêche, entamées il y a 20 ans, à la ligne d’arrivée, les membres de l’OMC doivent encore démontrer qu’ils sont capables de les conclure à l’occasion de la CM12, qui se tiendra enfin prochainement.
Les membres de l’OMC ont peut-être de nombreux désaccords, mais la plupart semble d’accord sur le fait que l’organisation connaît un besoin cruel de réforme.
Les membres de l’OMC ont peut-être de nombreux désaccords, mais la plupart semble d’accord sur le fait que l’organisation connaît un besoin cruel de réforme. Si mêmes ses détracteurs les plus virulents admettent que si l’OMC n’existait pas, il faudrait l’inventer, la plupart des membres reconnaissent les problèmes manifestes des mandats de négociation jamais réalisés, d’un système de règlement des différends paralysé par la crise touchant son organe d’appel, et même de l’incapacité à conduire les discussions régulières des comités de l’OMC. Nombreux sont les membres qui pensent que le programme de négociation de l’organisation est l’otage d’un groupe qui souhaite avant tout satisfaire ses propres priorités. Certains pays en développement considèrent que l’OMC pourrait faire bien plus pour réaliser son programme de développement, non seulement dans le cadre de ses priorités de négociation, mais également par le biais d’actions plus concrètes telles que l’assistance technique et le renforcement des compétences, mais aussi en organisant mieux son calendrier pour veiller à ce que les petites délégations puissent participer et pour donner plus de temps aux membres aux ressources limitées pour mieux comprendre les problèmes en question et obtenir des instructions de leurs capitales.
Que faut-il revoir ?
- La fonction de négociation. La nature de l’OMC fondée sur le consensus est devenue sa plus grande force, mais aussi son plus grand problème. Un seul membre à la capacité de bloquer n’importe quelle décision et de stopper l’avancement de toute négociation. Il devient alors extrêmement difficile d’atteindre un accord multilatéral. Depuis sa création en 1995, l’OMC n’a conclu qu’un seul accord multilatéral, l’Accord sur la facilitation des échanges, même si elle semble tout proche d’un deuxième si les négociations sur les subventions à la pêche sont conclues lors de la CM12. De nombreux autres processus de négociation sont à l’arrêt puisque les membres n’ont pas réussi à avancer dans un groupe composé de 164 délégations. En réponse à cette apparente paralysie, des « coalitions des volontés » ont commencé à voir le jour sur un grand nombre de questions liées au commerce, du commerce électronique à l’environnement. Pourtant, certains membres sont très mal à l’aise avec ces processus qui, à leur sens, ne font pas l’objet d’un mandat en bonne et due forme de l’OMC. Ces membres considèrent que l’ensemble des membres devrait plutôt se concentrer sur les éléments restant du Programme de Doha pour le développement et les résoudre, notamment sur les questions importantes pour les pays en développement. Mais cette position frustre les membres qui pensent que l’OMC devrait être capable de moderniser son programme et de commencer à répondre aux nouveaux défis du commerce international et de la durabilité.
Une sous-question du débat sur la fonction de négociation de l’OMC concerne la crispation actuelle quant au rôle du traitement spécial et différencié (TSD) accordé aux pays en développement dans les accords de l’OMC, et quant aux membres qui devraient y avoir droit. Les États-Unis, en particulier, plaident pour limiter fortement les membres qui pourraient bénéficier du traitement différencié. D’autres membres arguent que le TSD est un principe de toutes les négociations de l’OMC et que le système actuel (au titre duquel les membres peuvent se désigner unilatéralement comme étant « en développement », et peuvent décider de se prévaloir ou non du TSD dans un accord spécifique) devrait être maintenu. - Le système de règlement des différends. . Le système de règlement des différends de l’OMC est entravé depuis que les États-Unis ont refusé en 2019 d’approuver la nomination de nouveaux membres de l’organe d’appel de l’organisation, chargé d’examiner les décisions de règlement des différends. La crise n’est toujours pas résolue, malgré des déclarations mensuelles quant à « l’urgence et [à] l’importance qu’il y a à pourvoir les postes vacants à l’Organe d’appel ».
Il a été demandé à l’ambassadeur de Nouvelle-Zélande, David Walker, de mener un processus (surnommé le « processus Walker ») qui a identifié plusieurs principes sur le fonctionnement de l’organe d’appel autour desquels il semblait y avoir une certaine convergence des points de vue, mais qui n’ont pas satisfait les détracteurs les plus virulents de l’organe d’appel. Toutefois, les membres semblent maintenant disposés à chercher un moyen de faire en sorte que le mécanisme de règlement des différends de l’OMC soit plus utile à l’organisation. L’on ne sait pas si l’organe d’appel, ou tout autre système à deux niveaux, sera le résultat d’une telle discussion, mais l’intérêt semble de nouveau grandir. Dans l’intervalle, un groupe de membres a établi l’Arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire (AMPA) pour résoudre les appels des différends entre eux. Le premier arbitrage de l’AMPA est actuellement en cours d’examen. Toutefois, à long terme, la plupart des membres semble continuer de favoriser une solution multilatérale. - Les travaux des comités réguliers et la transparence. Si plusieurs organes réguliers de l’OMC ont été salués pour leurs travaux techniques constructifs (notamment le comité OTC, le comité SPS et le mécanisme d’examen des politiques commerciales), les travaux de nombreux autres ont été entravés par le faible niveau d’informations fournies par les membres de l’OMC et nécessaires à leurs travaux. Si certains membres peuvent expliquer leurs difficultés à recueillir et présenter ces données compte tenu de leurs capacités limités, cela n’explique pas les grandes quantités d’informations qui n’atteignent jamais ces organes importants tels que le comité des subventions et des mesures compensatoires, qui recueille les données relatives au soutien interne offert par les membres. Il est important de remarquer que les pays développés ne montrent pas toujours l’exemple, et l’on peut se demander ce que l’on est en droit d’attendre des membres dont les administrations connaissent encore plus de difficultés.ding by example, opening up the question of how much should be expected from members whose administrations are facing even more challenges.
- Le rôle du secrétariat. . Si les rôles respectifs des membres et du secrétariat ont été clairement définis depuis la création de l’OMC, des questions se posent régulièrement quant à la meilleure manière d’utiliser la capacité largement reconnue du secrétariat de mieux aider les membres.
Quelles sont les priorités des membres ?
Certains membres ont déjà identifié leurs priorités de réforme de l’OMC. C’est notamment le cas de l’Union européenne (la revitalisation des trois principales fonctions de l’OMC, le développement durable, une nouvelle approche du TSD, la modernisation des règles de l’OMC et la création d’un environnement favorable pour les accords plurilatéraux), des États-Unis (la revitalisation de la fonction de négociation, la promotion de la transparence, l’amélioration du respect des obligations, la résolution des problèmes d’inégalités et des distorsions des marchés mondiaux), du groupe Africain, de Cuba et de l’Inde (préserver le principe de l’OMC d’adoption des décisions par consensus, sauvegarder l’architecture actuelle du TSD et le droit inconditionnel de tout pays membre en développement d’en bénéficier, donner la priorité aux questions de développement, restaurer l’organe d’appel et le système de règlement des différends à deux niveaux, et pas de prescriptions supplémentaires en matière de transparence pour les accords existants). Toutefois, pour de nombreux autres membres, il semblerait que les discussions portant sur les détails de la réforme de l’OMC ne fassent que commencer. Une communication récente du groupe des pays les moins avancés (PMA) constitue un rappel utile de leur point de vue (des processus de négociation inclusifs, prise en compte des contraintes des PMA en termes de capacités, restauration du système de règlement des différends à deux niveaux, et plus d’assistance aux PMA, notamment en soutien de leurs efforts de notification et de transparence), et contient également quelques suggestions techniques quant à la manière d’aider les membres.
Comment la réforme pourrait-elle être menée ?
Si la CM12 devait lancer les discussions sur le processus de réforme en décembre dernier, les larges désaccords quant à la manière de procéder ont généré une frustration importante. Certains membres ont annoncé qu’ils commenceraient « immédiatement » à travailler sur la réforme. L’on ne sait pas encore clairement comment ce groupe envisage d’avancer, peut-être en présentant des idées ou des propositions à l’occasion de la CM12. Il se peut également que les membres proposent un processus pour la tenue des discussions sur la réforme que les ministres pourraient adopter lors de la CM12. Toutefois, les désaccords quant aux processus et aux objectifs restent profonds : si certains pays préfèrent avancer dans le cadre d’un groupe de travail de membres intéressés qui serait capable, espérons-le, de préparer des propositions de réforme pour examen par les ministres lors de la CM13, d’autres préfèrent que le Conseil général mène un processus d’examen dans le cadre de sessions dédiées, menées par le président du Conseil général, qui ferait rapport lors de la CM13.
Les membres doivent maintenant décider du type de coopération qu’ils souhaitent rechercher à l’OMC, et s’ils sont disposés à surmonter leurs frustrations pour dialoguer de manière constructive.
Il semblerait que l’OMC se trouve à un moment charnière sur toutes ces questions. Les membres sont frustrés, mais pour différentes raisons, par leur incapacité à utiliser l’organisation en tant que forum pour faire progresser leurs priorités spécifiques. L’OMC reste le seul organe économique multilatéral ayant le pouvoir de conclure des traités et disposant à la fois de l’infrastructure et d’un secrétariat hautement compétent pouvant être utilisé pour instaurer une coopération internationale sur les questions émergentes, telles que la pollution par les plastiques, ainsi que sur les questions politiques historiques, notamment les subventions agricoles. Les membres doivent maintenant décider du type de coopération qu’ils souhaitent rechercher à l’OMC, et s’ils sont disposés à surmonter leurs frustrations pour dialoguer de manière constructive.
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