Les discussions à l’Organisation mondiale du commerce sur les subventions agricoles devraient tenir compte des compromis entre le commerce, la sécurité alimentaire et l’environnement
La question des subventions agricoles a été largement abordée sous deux angles à l’Organisation mondiale du commerce (OMC): commercial et de la sécurité alimentaire. Facundo Calvo, analyste des politiques agricoles pour IISD, affirme que le point de vue environnemental a été largement négligé jusqu’à présent, et discute des voies possibles pour aborder le point de vue environnemental à l’OMC.
La nécessité de regarder au-delà des impacts sur le commerce et la sécurité alimentaire
La question des subventions agricoles a été largement abordée sous deux angles à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le premier est un angle commercial. L’Accord sur l’agriculture de l’OMC établit une distinction entre les subventions agricoles qui ont des effets de distorsion sur la production et les échanges, et celles qui n’en ont pas (ou qui ont des effets minimes). Les premières sont classées dans la catégorie des subventions de la « catégorie orange », tandis que les secondes entrent dans la « catégorie verte » de l’OMC. Dans le cadre des négociations de l’OMC sur l’agriculture, les discussions sur les subventions portent sur la manière de limiter les subventions qui ont des effets de distorsion des échanges tout en laissant aux gouvernements la possibilité de soutenir leur secteur agricole.
Le deuxième angle concerne la sécurité alimentaire. Les questions en négociation telles que le soutien interne au coton comportent un élément important lié à la sécurité alimentaire. Un rapport de l’OMC note l’importance du coton pour les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de millions de personnes en Afrique. Les discussions sur les programmes de détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire (DSP) visent à répondre aux préoccupations de sécurité alimentaire d’un grand nombre de membres de l’OMC, principalement des pays en développement. Les programmes de DSP peuvent être utilisés pour stabiliser les prix intérieurs et réduire l’exposition des consommateurs à la volatilité des prix des denrées alimentaires, ainsi que pour distribuer de la nourriture aux groupes vulnérables.
Il existe toutefois un troisième angle qui a, jusqu’à récemment, été largement négligé dans les discussions sur les subventions agricoles à l’OMC : l’environnement. Cet angle est important. Un rapport récent de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) montre que les subventions couplées, c’est-à-dire celles qui sont liées à la production d’un produit agricole spécifique, peuvent avoir des effets négatifs sur l’environnement en favorisant l’utilisation excessive de produits agrochimiques et de ressources naturelles et en encourageant la monoculture.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime quant à elle que les paiements fondés sur l’utilisation d’intrants variables sans contraintes, sont particulièrement nuisibles à l’environnement. En réduisant le coût des intrants agricoles, ces paiements incitent les agriculteurs à accroître l’utilisation d’intrants tels que les engrais. Ceci est particulièrement problématique dans le cas des engrais à base d’azote, qui émettent du protoxyde d’azote, un gaz environ 300 fois plus nocif que le dioxyde de carbone. L’utilisation de ces engrais est également liée à la pollution de l’eau, tant au niveau de la surface que du sol.
Cependant, les subventions peuvent également être conçues de manière à promouvoir de meilleurs résultats environnementaux. Cela est certainement le cas des paiements pour les services écosystémiques, qui fournissent des incitations financières aux agriculteurs en échange de la protection, de la préservation et de l’entretien des environnements naturels. Ces services écosystémiques incluent par exemple la réduction du ruissellement des eaux et de l’érosion des sols, la compensation des émissions de gaz à effet de serre et l’aide aux communautés pour qu’elles s’adaptent aux effets du changement climatique. L’indemnisation des agriculteurs pour leur contribution à l’atténuation du changement climatique, à l’amélioration de la qualité de l’eau ou au renforcement de la biodiversité est l’une des nombreuses façons d’utiliser le soutien public à l’agriculture dans le but de promouvoir la durabilité environnementale.
Les discussions commencent à s’intéresser aux effets sur l’environnement
Des discussions plus approfondies à l’OMC sur les incidences environnementales des subventions agricoles ont commencé début 2022 dans le cadre des Discussions structurées sur le commerce et la durabilité environnementale (TESSD). Il s’agit d’une évolution bienvenue.
Les TESSD visent à compléter les travaux du Comité du commerce et de l’environnement de l’OMC et ainsi faire avancer les discussions sur le commerce et la durabilité environnementale. Elles soutiennent également les objectifs de l’Accord de Marrakech instituant l’OMC, qui envisage un système commercial mondial qui protège et préserve l’environnement conformément au développement durable. 74 membres de l’OMC de toutes les régions du monde et de tous les niveaux de développement prennent part aux discussions TESSD. En décembre 2021, les membres des TESSD ont adopté une déclaration ministérielle fixant les domaines de travail futurs. L’un de ces domaines concerne les subventions, y compris les subventions agricoles.
Le Comité de l’agriculture en session extraordinaire (CoASS), c’est-à-dire l’organe de l’OMC chargé des négociations agricoles, s’attaque déjà aux effets des subventions agricoles sur le commerce. Mais les discussions TESSD offrent un forum complémentaire pour discuter des impacts environnementaux des subventions agricoles.
Les TESSD peuvent également être utilisées pour explorer les possibilités de réaffecter les subventions agricoles. Cela implique d’éliminer progressivement les formes de soutien aux producteurs qui entraînent les déséquilibres les plus marqués et ont les effets les plus négatifs sur l’environnement et la société, telles que les subventions couplées, et de réaffecter les ressources budgétaires libérées vers la promotion de résultats plus durables, par exemple, vers la recherche et le développement, les infrastructures permettant d’améliorer la productivité, et les paiements non liés à la production agricole ou qui ne favorisent pas la surutilisation d’intrants agricoles tels que le carburant, l’eau, les engrais et les pesticides.
De telles discussions sont cruciales compte tenu que les politiques agricoles actuelles, y compris les subventions agricoles, sont fortement axées sur des mesures ayant des effets de distorsion et nuisant à l’environnement et à la santé humaine. Compte tenu des avantages potentiels de la réaffectation plus durable des subventions agricoles, ainsi que des implications commerciales de cette réaffectation, il convient de se demander dans quelle mesure l’OMC est prête à aborder cette question.
Les discussions TESSD offrent un bon point d’entrée pour discuter de la réaffectation des subventions agricoles à l’OMC. En effet, les membres des TESSD ont déjà entendu deux présentations sur ce sujet cette année. La première, par l’Institut international du développement durable, a mis l’accent à la fois sur les impacts environnementaux des subventions agricoles et sur certains outils politiques où ces subventions pourraient être réaffectées de manière plus durable. Une deuxième présentation a examiné les conclusions du rapport conjoint de la FAO, du PNUD et du PNUE.
Les discussions TESSD offrent un bon point d’entrée pour discuter de la réaffectation des subventions agricoles à l’OMC.
Les membres de l’OMC pourraient éventuellement utiliser les TESSD comme un forum pour partager leurs propres expériences en matière d’élimination progressive des subventions agricoles nuisibles à l’environnement (ou leurs plans pour ce faire). Cet échange d’informations peut inclure des exemples concrets de la manière dont les membres ont fait un meilleur usage des ressources libérées en en allouant une partie aux infrastructures fondées sur la nature, aux paiements pour les services écosystémiques, aux services de vulgarisation agricole ou à d’autres pratiques en soutien de la durabilité.
Comme mentionné précédemment, les objectifs de la réaffectation des subventions agricoles (et plus largement du soutien à l’agriculture) vont bien au-delà de la protection de l’environnement ou de la biodiversité. Par exemple, un récent rapport de la FAO a examiné la manière dont la réaffectation du soutien agricole peut contribuer à des régimes alimentaires plus sains. Cela étant dit, le fait d’aborder l’aspect environnemental des subventions agricoles dans le cadre des TESSD (parallèlement à leurs dimensions commerciales et de sécurité alimentaire) pourrait être un bon point de départ pour amener à l’OMC la discussion sur la réaffectation des subventions agricoles.
S’attaquer aux subventions agricoles implique d’aborder les compromis
Les discussions de l’OMC sur le soutien agricole doivent reconnaître que la lutte contre ces subventions implique des compromis. L’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires et la Banque mondiale ont écrit à ce sujet (voir ici et ici). Leurs recherches démontrent, par exemple, que les subventions couplées contribuent à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES), mais aussi à des niveaux plus élevés de production agricole. Ainsi, la suppression des subventions couplées peut entraîner un compromis entre une réduction des émissions de GES et une baisse de la production agricole.
De même, le rapport conjoint de la FAO, du PNUD et du PNUE souligne que la suppression de toutes les subventions agricoles dans le monde entraînerait une baisse des émissions de CO2, mais aux dépens d’une diminution marquée de la production agricole.
Les efforts déployés à l’OMC pour promouvoir l’idée d’une réaffectation des subventions agricoles doivent également tenir compte des compromis entre le commerce, la sécurité alimentaire et les dimensions environnementales.
Les efforts déployés à l’OMC pour promouvoir l’idée d’une réaffectation des subventions agricoles doivent également tenir compte des compromis entre le commerce, la sécurité alimentaire et les dimensions environnementales. Cela pourrait par exemple se faire en veillant à ce que les subventions réaffectées à la catégorie verte (celles qui étaient précédemment notifiées à l’OMC comme des subventions agricoles ayant des effets de distorsion de la production et du commerce et qui sont maintenant notifiées comme des subventions de la catégorie verte) n’aient pas, en pratique, d’effets de distorsion de la production et du commerce, ou entraînent, tout au plus une distorsion minime.
L’OMC peut également accueillir des discussions sur la manière dont les membres peuvent surveiller la réaffectation des subventions agricoles. La transparence et le suivi de la manière dont ces subventions sont réaffectées permettraient non seulement de répondre aux préoccupations de tous les membres de l’OMC en matière de commerce, de sécurité alimentaire et d’environnement, mais aussi d’accroître l’adhésion et le soutien politiques au programme de réaffectation des subventions agricoles à l’OMC.
Compte tenu de ces compromis inhérents, les discussions sur les subventions agricoles doivent aborder les impacts des subventions agricoles (et de leur suppression) dans de multiples dimensions, notamment le commerce, la sécurité alimentaire et l’environnement. Elles doivent également le faire s’agissant de la production agricole, des moyens de subsistance des populations rurales, des revenus des agriculteurs, du bien-être des consommateurs et des impacts sur les régimes alimentaires sains. Ce faisant, les membres de l’OMC peuvent éviter de discuter des subventions agricoles en vase clos : le commerce et la sécurité alimentaire au sein du CoASS, les impacts environnementaux au sein des TESSD, et ainsi de suite. À cet égard, un dialogue plus fluide entre les différents comités et initiatives à l’OMC pourrait faciliter une meilleure compréhension de ces compromis.
La nécessité d’aborder les effets environnementaux du soutien des prix du marché
Les subventions ne sont pas la seule forme de soutien à l’agriculture. Selon le dernier rapport de l’OCDE sur l’Évaluation et le suivi des politiques agricoles, les subventions ont représenté un peu moins de la moitié (48 %) des 611 milliards USD de soutien accordé aux agriculteurs de 2019 à 2021. Le reste a été fourni sous la forme d’un soutien des prix du marché, qui, dans le jargon de l’OCDE, désigne des mesures politiques telles que les droits de douane sur les importations qui impliquent un transfert de ressources des consommateurs et des contribuables vers les agriculteurs. Le soutien des prix du marché est la principale forme de soutien à l’agriculture dans la plupart des pays.
Les membres de l’OMC devraient aussi examiner le lien entre le soutien des prix du marché et les résultats environnementaux.
À l’instar des subventions, le soutien des prix du marché affecte les décisions en matière de commerce et de production et fausse les marchés agricoles. Il produit également des résultats nuisibles à l’environnement en créant de fortes incitations à l’augmentation de la production, ce qui entraîne une plus grande utilisation d’intrants, notamment de produits agrochimiques, de terres et d’eau, contribuant ainsi à une augmentation des émissions de GES et du ruissellement d’azote provenant de l’agriculture.
La Déclaration ministérielle de l’OMC sur le commerce et la durabilité environnementale soutient « la poursuite des discussions sur les effets environnementaux et les impacts commerciaux des subventions pertinentes [emphase ajoutée] et le rôle de l’OMC à cet égard » (paragraphe 6). Toutefois, compte tenu de l’importance du soutien des prix du marché et de son potentiel à générer des effets environnementaux négatifs, les membres de l’OMC devraient aussi examiner le lien entre le soutien des prix du marché et les résultats environnementaux.
Tout comme pour les subventions agricoles, les efforts pour discuter du soutien des prix du marché à l’agriculture à l’OMC devraient également reconnaître les compromis entre le commerce, la sécurité alimentaire et l’environnement.
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