Subventions à la pêche : les membres de l'Organisation mondiale du commerce parachèveront-ils les travaux lors de la CM13 ?
L'Accord sur les subventions à la pêche a marqué un succès historique pour l'OMC et les ressources marines. Toutefois, Tristan Irschlinger estime que le succès définitif de l'accord dépend encore de son entrée en vigueur, de sa mise en œuvre fidèle et de la capacité des membres de l'OMC à l'enrichir de règles supplémentaires pour lutter plus largement contre les subventions préjudiciables à la pêche.
Les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont conclu un accord historique sur les subventions à la pêche en juin 2022, suscitant des acclamations dans le monde entier. Mais si l’importance de cet accord est indéniable, il est encore trop tôt pour parler de succès incontestable. La contribution finale de l’accord à la sauvegarde de la santé des ressources marines dépend encore de son entrée en vigueur, de sa mise en œuvre fidèle et, peut-être plus important encore, de la capacité des membres de l’OMC à le renforcer par des règles supplémentaires visant à lutter plus largement contre les subventions préjudiciables à la pêche. Que pouvons-nous attendre de la treizième Conférence ministérielle (CM13) de l’OMC ?
Des paroles aux actes
Il n’est pas exagéré de dire que l’Accord sur les subventions à la pêche adopté lors de la douzième Conférence ministérielle de l’OMC (CM12) constitue une réalisation historique. Premier accord du régime juridique de l’OMC à se concentrer sur la durabilité et deuxième accord multilatéral conclu au cours des presque trois décennies d’existence de l’organisation, il établit pour la première fois un ensemble de règles globales et contraignantes sur le soutien que les gouvernements apportent à leur secteur de la pêche. Plus de 35 % des stocks de poissons marins étant considérés comme surexploités — une proportion qui n’a cessé de croître au cours des cinq dernières décennies — il était plus que temps de s’attaquer, par le biais de la coopération internationale, à la contribution des subventions à la pêche à ce problème environnemental mondial pressant.
En particulier, les nouvelles disciplines interdisent l’octroi de subventions à la pêche dans les situations où les préoccupations relatives à la durabilité des activités de pêche sont les plus claires : (1) lorsque des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée ont été identifiées ; (2) lorsque la santé des stocks de poissons est évaluée et qu’il est déterminé que leur biomasse se situe à des niveaux dangereusement bas ; et (3) lorsque la pêche est pratiquée en haute mer non réglementée, ce qui signifie qu’aucune entité n’est compétente pour gérer les stocks de manière durable.
Les nouvelles règles constituent donc des outils essentiels pour contenir les effets les plus préjudiciables des subventions à la pêche, non seulement pour l’environnement marin, mais aussi pour ceux dont les moyens de subsistance et l’alimentation dépendent de ressources halieutiques saines. Pour l’instant, l’accord ne représente toutefois que des mots sur quelques bouts de papier. Ses effets bénéfiques ne se matérialiseront pas, du moins pas pleinement, avant son entrée en vigueur, pour laquelle les deux tiers des membres de l’OMC (c’est-à-dire au moins 109 membres) doivent l’accepter formellement. Ce n’est qu’à ce stade que les nouvelles disciplines deviendront applicables par et contre les membres qui l’ont accepté. Au moment de la rédaction du présent article, 52 membres avaient déposé leur instrument d’acceptation auprès de l’OMC.
Entre-temps, les membres doivent également évaluer les changements internes qui seront nécessaires pour s’aligner sur les nouvelles règles et, dans le cas des pays en développement membres, identifier les types d’assistance internationale dont ils pourraient avoir besoin pour mettre en œuvre ces règles. À cette fin, l’IISD a produit un outil d’auto-évaluation qu’ils peuvent utiliser pour se préparer à la mise en œuvre.
Vers des règles plus nombreuses et plus larges
Il est important de noter que les principales disciplines de l’accord sont des interdictions de subventions qui se concentrent sur des situations spécifiques et particulièrement alarmantes. Mais avant d’adopter l’accord lors de la CM12, les membres de l’OMC envisageaient également des règles plus larges pour freiner les subventions qui conduisent à la surexploitation des ressources halieutiques de manière plus générale. Ces règles n’ont pu être incluses dans l’accord faute de consensus, et les membres se sont engagés à poursuivre les négociations et à convenir de ces disciplines supplémentaires plus tard, ce qu’ils espèrent faire à l’occasion de la CM13.
Les discussions en cours peuvent être considérées comme une occasion de mieux s’attaquer au rôle sous-jacent des subventions qui favorisent la surcapacité des flottes mondiales de pêche et incitent à des niveaux de pêche non viables.
Ce sont précisément ces règles supplémentaires que les membres sont en train de négocier. Si l’accord conclu lors de la 12ème Conférence ministérielle vise à prévenir les effets les plus préjudiciables des subventions à la pêche, les discussions en cours peuvent être considérées comme une occasion de mieux s’attaquer au rôle sous-jacent des subventions qui favorisent la surcapacité des flottes mondiales de pêche et incitent à des niveaux de pêche non viables. En tant que telles, elles sont l’occasion de s’attaquer plus directement et plus largement à l’une des causes profondes de la surexploitation des ressources halieutiques.
Les nouvelles disciplines envisagées reposent sur trois éléments clés : (1) une interdiction principale des subventions qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche, y compris une liste des types de subventions qui sont présumées y contribuer ; (2) une exception permettant le maintien des subventions lorsque les membres peuvent démontrer qu’ils appliquent des mesures de gestion de la pêche pour maintenir les stocks à un niveau sain ; et (3) un traitement spécial et différencié (TSD) pour les pays en développement membres, sous la forme d’exemptions temporaires et permanentes de la règle, et de l’exception fondée sur la gestion pour les subventions accordées par ces membres. Les disciplines proposées comprennent également l’interdiction des subventions « subordonnées ou liées » à la pêche en dehors des eaux du membre qui accorde la subvention, ainsi que des exigences supplémentaires en matière de transparence.
Pendant plus de trois ans, les négociations sur cette partie des disciplines se sont concentrées sur cette approche « hybride » — la combinaison d’une interdiction générale, y compris une liste des types de subventions, avec une exception fondée sur la gestion des pêches. D’autres approches sont (ré)apparues dans de nombreuses propositions, mais aucune n’a recueilli un niveau de soutien qui lui donnerait de meilleures chances de faire l’objet d’un consensus. La question centrale est de savoir si l’équilibre des droits et des obligations — entre les membres qui se prévaudraient de l’exception fondée sur la gestion et ceux qui se prévaudraient du TSD — est acceptable. Au fur et à mesure que les membres ont exploré les options en vue d’un résultat, trois grandes questions structurelles ont façonné les discussions, et elles sont toutes interdépendantes.
Les règles devraient-elles être plus strictes pour les grands acteurs de la pêche ?
Une question clé dans les négociations a été de savoir si la règle envisagée serait suffisamment stricte pour discipliner de manière significative les subventions accordées par les plus grands acteurs du secteur de la pêche, en particulier les membres ayant les plus grandes flottes de pêche et ceux qui accordent le plus de subventions. Si l’on examine les subventions susceptibles d’entrer dans le champ d’application des nouvelles règles, l’on constate qu’environ 72 % d’entre elles sont accordées par les 10 premiers subventionneurs, et que ce chiffre passe à 86 % si l’on considère les 20 premiers subventionneurs.* La manière dont les disciplines s’appliquent à ceux qui accordent le plus de subventions sera donc d’une importance cruciale pour garantir l’efficacité des règles.
Une question clé dans les négociations a été de savoir si la règle envisagée serait suffisamment stricte pour discipliner de manière significative les subventions accordées par les plus grands acteurs.
Depuis que l’approche hybride est devenue le point central des discussions en 2020, certains pays en développement membres se sont dits préoccupés par le caractère permissif des règles proposées, en particulier pour les plus grands subventionneurs. D’autres membres, y compris la plupart des plus grands subventionneurs, ont généralement fait valoir que les règles proposées dans le cadre de cette approche étaient suffisamment strictes. Ces discussions se sont poursuivies depuis la reprise des négociations en 2023, diverses propositions et idées ayant été présentées par différents membres pour relever quelque peu le niveau d’ambition des règles envisagées, notamment en les rendant plus strictes pour les grands subventionneurs.
Quel devrait être le rôle de la gestion de la pêche ?
Une autre question importante, et étroitement liée, qui a suscité un débat important est de savoir si et comment les règles doivent être liées à la gestion de la pêche effectuée par les membres. Il est largement reconnu qu’en théorie, une gestion efficace des ressources halieutiques peut contribuer à atténuer les effets préjudiciables des subventions à la pêche. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement et l’Organisation de coopération et de développement économiques ont réalisé des travaux analytiques influents sur ce sujet qui soulignent ce point.
Une autre question importante, et étroitement liée, qui a suscité un débat important est de savoir si et comment les règles doivent être liées à la gestion de la pêche effectuée par les membres.
Toutefois, les membres ne sont pas tous à l’aise à l’idée de s’appuyer sur la gestion de la pêche dans le cadre de l’application des règles de l’OMC en matière de subventions. Certains pays en développement membres ont dit craindre que les règles fondées sur la gestion ne préservent le statu quo en permettant aux grands subventionneurs de continuer à soutenir les flottes du moment que des mesures de gestion de la pêche sont mises en œuvre, même si ces mesures sont inefficaces.
Si le lien avec la gestion de la pêche est inhérent à l’approche hybride que les membres ont accepté de privilégier, avec plus ou moins d’enthousiasme, certaines discussions récentes ont porté sur le degré de rigueur des exigences en matière de durabilité et de transparence pour autoriser les membres à recourir à l’exception fondée sur la gestion. De nombreux membres ont proposé de renforcer ces exigences, en particulier pour les grands subventionneurs, mais d’autres s’opposent à l’idée de rendre les règles trop strictes. L’équilibre que les membres devront trouver ici consistera à s’assurer que toute exemption basée sur la gestion est suffisamment stricte pour mettre un terme à l’octroi de subventions non durables, tout en la rendant accessible aux membres de l’OMC ayant différents types de gestion de la pêche et différents niveaux de capacité.
Quelles flexibilités devraient être incluses pour les pays en développement membres ?
Une troisième question clé qui a été au centre des discussions est celle de savoir quels types de dispositions TSD pour les pays en développement membres devraient faire partie des nouvelles règles. Les demandes de TSD étaient limitées dans le contexte des règles incluses dans l’Accord sur les subventions à la pêche, puisque ces dernières se concentraient sur des situations alarmantes sans équivoque. Mais la nature plus large des nouvelles disciplines en cours de négociation a conduit les pays en développement membres à réclamer plus ouvertement des exemptions à l’interdiction principale des subventions qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche.
De nombreux pays en développement membres font valoir qu’ils doivent protéger les moyens de subsistance et l’emploi des communautés de pêcheurs pauvres et développer leurs flottes de pêche afin de garantir une répartition plus équitable entre les nations des bénéfices tirés de la pêche. D’autres membres insistent sur le fait que si les exemptions aux disciplines sont excessivement larges, elles pourraient compromettre l’efficacité des règles, au détriment de tous ceux dont les moyens de subsistance dépendent de la durabilité des ressources marines.
Parmi les 20 premiers subventionneurs, 13 sont des pays en développement membres et, ensemble, ils ont fourni environ 55 % des subventions mondiales.
L’un des facteurs qui compliquent le TSD dans le contexte des règles sur les subventions à la pêche est le fait que certains des plus grands pays pêcheurs et subventionneurs du monde sont des pays en développement. Parmi les 20 premiers subventionneurs, 13 sont des pays en développement membres et, ensemble, ils ont fourni environ 55 % des subventions mondiales.** D’une manière plus générale, cependant, de nombreux pays en développement ne fournissent que des subventions aux montants très limités, voire pas de subventions du tout. Les dispositions relatives au TSD doivent donc tenir compte de cette grande hétérogénéité.
D’une manière générale, les exemptions temporaires et permanentes de l’interdiction principale que les membres envisagent restent assez similaires à celles qui ont été discutées avant la CM12 dans ce domaine. Elles incluent une exemption temporaire pour les subventions que les pays en développement membres accordent à la pêche dans leur zone économique exclusive (ZEE) nationale ou sous la compétence d’une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP), ainsi qu’une exemption permanente pour les subventions à la pêche artisanale, c’est-à-dire la pêche « à faible revenu, limitée en ressources et de subsistance », pour être précis. Les exemptions totales de l’interdiction principale pour les pays les moins avancés (PMA) membres et les membres qui sont de petites nations de pêche (et/ou de petits subventionneurs) font également partie des dispositions proposées. Cette combinaison d’exemptions possibles peut être considérée comme une tentative d’adapter les flexibilités aux différents rôles des membres dans la pêche mondiale et aux différents types d’activités de pêche. La flexibilité concernant les ZEE et les ORGP, qui couvre tous les pays en développement, exempte une grande partie de la capture mondiale, de l’effort de pêche et des subventions de l’application de la règle, mais elle n’est que temporaire. En revanche, les exemptions pour la pêche à petite échelle, les petits pays de pêche et les PMA membres s’appliquent de manière permanente, mais couvrent une part beaucoup plus faible de la capture, de l’effort de pêche et des subventions au niveau mondial.
Les membres de l’OMC sont-ils en mesure de s’entendre à nouveau ?
Les membres de l’OMC ont progressé dans la définition des grandes lignes de leur réponse collective à ces questions depuis la reprise des négociations au début de 2023. Mais ils doivent prendre des décisions s’ils veulent conclure cette « deuxième vague » de négociations, en adoptant des disciplines supplémentaires sur les subventions qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche à l’occasion de la CM13.
La question est de savoir si les membres feront preuve de la volonté politique et de la souplesse nécessaires pour converger les uns vers les autres et trouver un terrain d’entente qui, par définition, ne sera la solution idéale de personne. Pour ce faire, ils devront se rappeler ce qui a permis la conclusion de la première partie de l’accord : l’importance capitale de ces efforts communs tant pour l’environnement marin que pour les centaines de millions de personnes dans le monde dont la vie en dépend directement. Les membres de l’OMC l’ont fait une fois, il n’y a pas de raison qu’ils ne puissent pas le faire deux fois.
* Ces chiffres sont tirés des estimations les plus récentes de Sumaila et al. (2019), et excluent les catégories de subventions qui seraient probablement exclues du champ d’application de ces nouvelles règles.
** Ibid.
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