Les subventions agricoles : le cas de l’Ouganda
Les subventions sont un outil clé utilisé pour soutenir la production agricole et améliorer la sécurité alimentaire, bien que les opinions sur leur efficacité varient. Jane Nalunga et Jonathan Lubega analysent les subventions agricoles accordées en Ouganda et proposent des recommandations pour les modifier afin de favoriser la durabilité.
Introduction
Les subventions font partie des politiques commerciales que les pays utilisent pour soutenir la production agricole, améliorer les revenus des agriculteurs et promouvoir la sécurité alimentaire. Toutefois, l’efficacité des subventions agricoles reste débattue, en particulier au sein de l’Organisation mondiale du commerce. De nombreux pays considèrent les subventions agricoles comme les principaux moteurs des déséquilibres commerciaux inégaux, et les grandes sociétés et entreprises en bénéficient souvent plus que les petits exploitants agricoles et les communautés locales. Les subventions agricoles dans les pays les plus riches peuvent également limiter la capacité des pays les moins avancés à rivaliser sur un pied d’égalité. Sur le plan environnemental, les subventions agricoles peuvent nuire aux forêts et autres écosystèmes naturels et contribuer à la perte de biodiversité.
Bien qu’elles puissent constituer un outil de politique commerciale important pour promouvoir la durabilité, les subventions agricoles sont souvent conçues d’une manière qui nuit aux économies et aux moyens de subsistance des populations. L’Organisation de coopération et de développement économiques estime que plus de 600 milliards USD sont dépensés chaque année pour le seul soutien de la production agricole dans 54 pays, dont une grande partie est consacrée à des activités qui nuisent à l’environnement. Les subventions agricoles se concentrent fortement sur quelques produits clés qui fournissent beaucoup de calories et manquent de nutriments essentiels.
Le présent article examine les subventions agricoles en Ouganda et leurs implications pour l’économie, le secteur agricole, les moyens de subsistance de la population et l’environnement. Il formule également des recommandations pour repenser la conception des subventions agricoles en Ouganda dans une optique de durabilité.
Les dépenses publiques dans l’agriculture sont limitées
L’agriculture est la principale source de subsistance en Ouganda et fournit un emploi à environ 66 % de la population. Le secteur représente une large part du PIB (24,5 %) et joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire, la nutrition et la réduction de la pauvreté restent des défis majeurs en Ouganda. La plupart des agriculteurs dépendent de l’agriculture pluviale, utilisent des outils rudimentaires, ont un accès limité aux intrants agricoles et dépendent fortement de la main-d’œuvre familiale. La nature de la production agricole ougandaise étant incertaine, il est essentiel de soutenir l’agriculture et d’accorder des subventions pour améliorer sa résistance et sa durabilité.
Bien que l'Ouganda ait fait de l’agriculture une priorité dans son programme de développement, l'allocation d'un budget limité freine le secteur.
Bien que l’Ouganda ait fait de l’agriculture une priorité dans son programme de développement, l’allocation d’un budget limité freine le secteur. Aux termes de la Déclaration de Malabo, les dirigeants africains ont convenu d’allouer au moins 10 % des dépenses publiques à l’agriculture, mais la contribution de l’Ouganda est inférieure à cet engagement.
Dans le cas de l’Ouganda, l’on peut classer les subventions agricoles dans deux grandes catégories : les subventions aux intrants et le soutien aux services généraux du secteur agricole dans son ensemble.
Certaines subventions visent à aider les agriculteurs à obtenir des intrants
Le pays a lancé des initiatives telles que les Services nationaux de conseil agricole (NAADS) et l’opération « création de richesse » pour permettre aux agriculteurs d’accéder aux intrants. Le NAADS a été créé en 2001 avec pour mandat de soutenir la gestion des chaînes de distribution d’intrants agricoles, la promotion d’interventions communautaires stratégiques, le développement de la chaîne de valeur agricole et l’accès des agriculteurs au financement agricole. L’opération « création de richesse » a été lancée en 2013 afin d’augmenter les revenus des ménages et de créer de la richesse en faisant passer les agriculteurs d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale. Dans le cadre de cette initiative, le gouvernement ougandais distribue des intrants agricoles, par exemple des semis, aux agriculteurs locaux.
L’accès aux intrants agricoles s’est amélioré grâce à diverses initiatives. Par exemple, dans le cadre du programme NAADS, 623 870 plants d’avocats Hass ont été distribués aux agriculteurs afin de créer 3 125 acres dans 80 districts. Le NAADS a également subventionné des plants d’avocats Hass.
Il est important de noter que l’Ouganda a fourni un soutien financier direct aux agriculteurs par l’intermédiaire de groupes d’agriculteurs. Grâce à un financement de la Banque mondiale, le gouvernement a mis en œuvre le projet de développement des groupements agricoles, qui a permis aux agriculteurs de bénéficier d’une meilleure infrastructure agricole, d’un plus grand accès aux intrants, d’une meilleure gestion post-récolte et de prix plus compétitifs tant pour les intrants que pour leurs produits. Le projet s’est concentré sur cinq produits prioritaires (le maïs, le manioc, les haricots, le riz et le café) et a bénéficié à 450 000 ménages agricoles dans 12 groupements.
Les bénéficiaires ont également reçu des bons électroniques pour les aider à couvrir une partie du coût d’achat des principaux intrants agricoles, tels que les engrais, les semences, le matériel d’irrigation à petite échelle et les téléphones portables. Le gouvernement a mis en œuvre le système de bons électroniques par l’intermédiaire du secteur privé, qui a fourni tous les intrants. Cependant, le système a été entaché par une mauvaise mise en œuvre, une qualité médiocre et la livraison tardive des intrants. Le rapport de l’auditeur général pour l’année se terminant au 30 juin 2023 a révélé qu’un montant considérable de fonds a été utilisé de manière inefficace dans le cadre du système de bons électroniques.
Les subventions à l’assurance aident les agriculteurs dans les zones à haut risque
Dans le cadre du programme ougandais de subvention de l’assurance agricole, le gouvernement subventionne 50 % et 30 % des primes d’assurance agricole payées par les petits et les grands exploitants agricoles, respectivement. Cette subvention à l’assurance est destinée à protéger les agriculteurs des risques liés aux pertes résultant de catastrophes naturelles et à attirer des financements vers l’agriculture. Dans le cadre de cette initiative, le gouvernement contribue à hauteur d’environ 1,35 million USD par an au soutien des petits et des grands exploitants dans les zones à haut risque.
L’utilisation de la subvention a considérablement augmenté, ce qui a grandement profité aux agriculteurs qui ont accès à l’assurance. Les registres montrent que 687 608 agriculteurs ougandais étaient assurés dans le cadre du régime en date de mars 2023, alors que seuls 45 704 d’entre eux bénéficiaient d’une assurance six ans auparavant. Il convient toutefois de noter que la plupart des bénéficiaires de cette subvention à l’assurance sont des agriculteurs de moyenne et grande taille.
Le gouvernement ougandais a également mis en place un mécanisme de crédit agricole pour améliorer le financement des projets agricoles, y compris l’acquisition de machines agricoles, d’équipements de traitement des produits agricoles et de manutention après récolte, ainsi que d’installations de stockage. Les intrants agricoles nécessaires à la production primaire et les besoins en fonds de roulement sont également pris en compte dans le cadre de ce mécanisme, qui a fourni aux agriculteurs les fonds dont ils avaient tant besoin, à des taux d’intérêt abordables. Toutefois, en raison de la complexité des exigences en matière de documentation et du manque d’information, les petits exploitants agricoles ont du mal à bénéficier de ce mécanisme.
En plus des subventions agricoles, l’Ouganda dispose d’un système fiscal qui soutient le secteur agricole. La loi ougandaise sur l’impôt sur le revenu accorde une exonération fiscale de 10 ans aux opérateurs qui transforment des produits agricoles ou fabriquent des produits chimiques à usage agricole. Les machines qui transforment les produits agricoles ou laitiers, ainsi que les outils et les instruments destinés uniquement à l’agriculture, sont également exonérés d’impôts. Toutefois, et compte tenu des seuils élevés pour en bénéficier, ce régime fiscal tend à avantager les gros investisseurs.
Ces initiatives sont conçues comme des mécanismes de soutien aux agriculteurs et aux acteurs de la chaîne de valeur agricole et visent à améliorer la production et la productivité. Elles offrent des opportunités à de nombreux bénéficiaires et ont amélioré les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles. Plus récemment, la production et l’exportation de café ont connu une forte augmentation. L’Ouganda a exporté 837 915 sacs de 60 kg de café d’une valeur de 221,63 millions USD en août 2024, soit une augmentation de 13,15 % en quantité et de 82,98 % en valeur par rapport à août 2023. Cette hausse des prix du café a considérablement amélioré les moyens de subsistance des agriculteurs. Le soutien accru du gouvernement au secteur du café pour les semis et les engrais, ainsi que par le biais d’un soutien financier direct serait la principale raison de l’augmentation de la production.
La valeur ajoutée aux produits agricoles est limitée, ce qui se traduit par des prix bas sur les marchés locaux et mondiaux et, souvent, par un gaspillage agricole.
Malgré ces résultats positifs, plusieurs facteurs entravent la réalisation effective des objectifs des subventions agricoles. La valeur ajoutée aux produits agricoles est limitée, ce qui se traduit par des prix bas sur les marchés locaux et mondiaux et, souvent, par un gaspillage agricole. En outre, les agriculteurs ont besoin de services de vulgarisation lorsque des intrants agricoles sont fournis, mais ceux-ci sont souvent indisponibles. Avec un ratio de 1:2 000 à 1:3 000, l’Ouganda reste en deçà du ratio recommandé de 1:500 (ratio agent de vulgarisation/population). Cela signifie que plus de 2 000 agriculteurs dépendent d’un seul agent de vulgarisation pour leur soutien agricole. Il n’y a pas eu non plus de campagne de communication pour soutenir les subventions. Par exemple, aucun effort n’a été fait pour identifier des opportunités de marché durables ou les moyens d’ajouter de la valeur lorsque l’aide aux intrants a été fournie pour les avocats Hass.
C’est l’offre, et non la demande, qui détermine les subventions agricoles. Cela explique pourquoi les agriculteurs reçoivent généralement des aides tard dans la saison (ou même après). Parfois, ils reçoivent des intrants dont ils n’ont pas réellement besoin, par exemple pour des semences hybrides. Les agriculteurs peuvent alors manquer l’occasion d’une récolte complète ou souffrir d’une baisse de rendement en raison d’un mauvais choix du moment. Les agriculteurs peuvent également recevoir des intrants qui ne sont pas adaptés à leurs conditions de culture spécifiques ou à leurs préférences, par exemple, les semences hybrides nécessitent souvent des conditions de culture spécifiques, des techniques agricoles avancées ou une gestion des intrants élevée que les petits exploitants ne sont pas toujours en mesure de gérer.
Sur le plan environnemental, les subventions agricoles contribuent au changement climatique en soutenant l’achat et l’utilisation intensive de produits agrochimiques et en encourageant la monoculture, qui augmente les gaz à effet de serre. Elles encouragent également l’utilisation de semences hybrides, ce qui compromet les systèmes de semences des agriculteurs et la durabilité de l’agriculture en Ouganda. Les semences hybrides nécessitent beaucoup d’intrants et obligent les agriculteurs à acheter des semences à chaque saison de plantation. Les subventions agricoles mises en œuvre sont mal gérées et sous-financées, ce qui ne permet pas de relever les nombreux défis auxquels sont confrontés le secteur agricole en général et les petits exploitants en particulier.
Comment concevoir et mettre efficacement en œuvre des subventions agricoles
Comme indiqué ci-dessus, la conception et la mise en œuvre des subventions agricoles ont posé des problèmes en Ouganda. Elles sont conçues de manière descendante, avec une implication minimale des principales parties prenantes, en particulier des petits exploitants agricoles. Cela explique en partie pourquoi les agriculteurs ont souvent du mal à accéder aux subventions. Il est donc opportun et nécessaire de repenser la conception des subventions agricoles. Cela implique la participation effective de tous les acteurs clés, y compris les agences gouvernementales, les représentants du secteur privé, les scientifiques, les universitaires et les organisations de la société civile.
La conception des subventions agricoles en Ouganda devrait pleinement soutenir les chaînes de valeur, des intrants jusqu’au marché.
En termes de mise en œuvre, les subventions agricoles en Ouganda sont caractérisées par une mauvaise qualité et une livraison tardive des intrants, ce qui a entravé leurs objectifs. La conception des subventions agricoles en Ouganda devrait pleinement soutenir les chaînes de valeur, des intrants jusqu’au marché. Les mécanismes devraient être financés de manière adéquate pour atteindre les objectifs visés, et la mise en œuvre de ces mécanismes devrait faire l’objet d’un suivi efficace pour garantir l’optimisation des ressources. À l’avenir, le gouvernement devrait revoir la conception des subventions agricoles tout en gardant à l’esprit les bénéficiaires visés. Le gouvernement devrait également simplifier les procédures d’accès aux subventions agricoles pour les petits agriculteurs.
Jane Nalunga est la directrice exécutive du Southern and Eastern Africa Trade Information and Negotiations Institute en Ouganda (SEATINI). Jonathan Lubega est chargé de programme, Agricultural Trade for Rural Transformation chez SEATINI Ouganda.
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