La réforme de l'Organisation mondiale du commerce
La question de savoir si l'Organisation mondiale du commerce est « adaptée à son objectif » sera au cœur de la 13ème Conférence ministérielle. Alice Tipping prévoit que la diversité des points de vue sur des sujets tels que le système de règlement des différends, le traité plurilatéral sur la facilitation de l'investissement et le traitement spécial et différencié pourrait compliquer la recherche d'un terrain d'entente.
Le débat sur la question de savoir si l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est « adaptée à son objectif » et si elle doit modifier son mode de fonctionnement, et de quelle manière, a progressé depuis la dernière conférence ministérielle et sera l’un des principaux thèmes de la treizième Conférence ministérielle (CM13) qui se tiendra le mois prochain. Les décisions des ministres sur certaines questions sont immédiates et claires. Les membres se mettront-ils d’accord sur les changements qui permettront au système de règlement des différends de fonctionner à nouveau correctement ? Accepteront-ils d’inclure un traité plurilatéral sur la facilitation de l’investissement dans l’architecture juridique de l’OMC ? Les décisions sur d’autres questions, telles que la modification du droit au traitement spécial et différencié (TSD), sont encore loin d’être prises, si tant est qu’elles soient possibles. Sur ces questions, la CM13 sera probablement davantage l’occasion d’exprimer des points de vue opposés et de consigner tout terrain d’entente dans une déclaration ministérielle.
Le mécanisme de règlement des différends : la lumière au bout du tunnel ?
Après s’être plaint pendant des années du système de règlement des différends de l’OMC, notamment de la durée des appels et des interprétations qui remettaient en cause les droits que les États-Unis pensaient avoir négociés, Washington a commencé en 2017 à bloquer le processus de nomination des nouveaux membres de l’Organe d’appel de l’OMC, le rendant incapable d’entendre les appels après décembre 2019, puisqu’il n’y avait plus de quorum de membres pouvant entendre les appels. Par conséquent, de nombreuses décisions des groupes spéciaux de règlement des différends continuent de faire l’objet d’appels « dans le vide », ce qui les rend inapplicables dans le cadre du système de l’OMC. Certains membres ont mis au point une solution alternative, l’Arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire, qui permet aux appels d’être entendus en vertu de l’article sur l’arbitrage du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends de l’OMC. Ce système semble fonctionner relativement bien ; sa première décision a été rendue rapidement et, apparemment, à la satisfaction des parties concernées. Mais il ne peut se substituer à un système multilatéral de règlement des différends.
Lors de la CM12 en juin 2022, les ministres ont souligné leur objectif de mettre en place un « système de règlement des différends pleinement opérationnel et qui fonctionne bien, accessible à tous les Membres, pour 2024 ». Depuis lors, un processus très informel lancé par les États-Unis et confié depuis à un délégué guatémaltèque expérimenté, Marco Tulio Molina, a permis de réaliser des progrès significatifs dans l’élaboration d’amendements aux procédures régissant les différends au sein de l’OMC. Ces modifications visent à améliorer l’efficacité de la procédure de règlement des différends et donc à la rendre plus abordable et, par conséquent, plus accessible à tous les membres de l’OMC. Toutefois, les membres n’ont pas encore réussi à se mettre d’accord sur quelques questions clés, notamment sur l’opportunité d’un mécanisme d’appel ou sur son fonctionnement.
Le problème sous-jacent réside dans deux visions distinctes du rôle du système de règlement des différends de l’OMC.
À Genève, l’on estime que le problème sous-jacent réside dans deux visions distinctes du rôle du système de règlement des différends de l’OMC. Les États-Unis semblent l’aborder d’un point de vue contractuel sur les traités internationaux, considérant le système comme un moyen de résoudre exclusivement les différends bilatéraux. L’Union européenne et d’autres considèrent le système sous l’angle de la gouvernance supranationale, adhérant au concept d’une cour internationale permanente dont les décisions contribuent à un corpus de jurisprudence.
La CM13 est officieusement considérée comme la date limite pour 2024, bien que certains soient conscients d’un changement potentiel du paysage politique en raison de l’élection présidentielle étasunienne en novembre. La Directrice générale Ngozi Okonjo-Iweala a fait du rétablissement du système de règlement des différends l’une de ses priorités pour la conférence ministérielle, le plaçant en tête de liste avec la finalisation des dispositions restantes de l’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche (voir l’article de Tristan Irschlinger dans la présente publication). À l’heure où nous écrivons ces lignes, le résultat le plus probable semble être un ensemble presque complet d’améliorations du système soumis à l’approbation des ministres, tandis que les travaux se poursuivent pour aplanir les divergences sur les questions les plus difficiles.
Les négociations : qu’est-ce qui figure à l’ordre du jour, qui décide de l’ordre du jour, et quid du TSD ?
Le deuxième grand domaine de discussion est le programme de négociation de l’OMC : quels sont les sujets qu’il doit aborder et qui décide des sujets qu’il doit aborder, ainsi que la nécessité de modifier le principe du TSD figurant dans les traités de l’OMC pour les pays en développement membres, et, le cas échéant, la manière de procéder.
Les questions environnementales se rapprochent de plus en plus du centre de l’ordre du jour de l’OMC. Le premier grand changement intervenu avant la CM12 a été le lancement de trois discussions informelles sur des sujets environnementaux : les Discussions structurées sur le commerce et la durabilité environnementale, le Dialogue sur la pollution par les plastiques et le commerce des plastiques écologiquement durable, et l’Initiative sur la réforme des subventions aux combustibles fossiles. Ces initiatives, menées par des groupes de pays organisateurs et ouvertes à tous les membres qui souhaitent y participer, sont nées de la frustration de constater que des sujets cruciaux de l’agenda international, notamment le changement climatique, ne pouvaient être discutés au sein des comités officiels de l’OMC, tels que le Comité du commerce et de l’environnement, car certains membres refusaient tout simplement de l’autoriser. Dans l’ensemble, ces initiatives ont constitué un forum utile pour l’acquisition de connaissances et la discussion de sujets, à la fois faciles et difficiles, qui ne pouvaient pas figurer à l’ordre du jour multilatéral.
Ce qui est différent en amont de la CM13, c’est que de nombreux membres appellent à ce que les questions environnementales soient abordées au niveau multilatéral, arguant que l’ordre du jour de l’OMC devrait changer pour répondre aux principales préoccupations en matière de politique commerciale, y compris les mesures environnementales, mais aussi la question plus large de la politique industrielle. Dans la pratique, les deux sujets se chevauchent considérablement : bon nombre des plus grands changements de politique industrielle de ces dernières années ont consisté à stimuler la production nationale d’énergie renouvelable ou de véhicules électriques. La réunion informelle des hauts fonctionnaires d’octobre 2023 comprenait des sessions sur la politique industrielle et sur le commerce et le climat. L’on ne sait pas exactement ce qui pourrait être convenu dans cet espace politique hyperconcurrentiel, mais il s’agit d’une discussion politique cruciale pour le système commercial multilatéral au cours des prochaines années, qui pourrait toutefois se dérouler non pas dans le cadre d’un, mais de deux axes de travail différents, un par groupe de membres en faisant la demande.
Ce qui est différent en amont de la CM13, c’est que de nombreux membres appellent à ce que les questions environnementales soient abordées au niveau multilatéral.
Cependant, la décision la plus immédiate pour les ministres à la CM13 est de déterminer ce qu’il devrait advenir du texte du traité élaboré dans le cadre de l’Initiative liée à la déclaration conjointe (IDC) sur la facilitation de l’investissement pour le développement (IFD). Après plusieurs années de négociations entre un sous-ensemble de membres, l'initiative FID a produit un texte de traité finalisé. Ses promoteurs souhaiteraient qu’il soit inclus en tant qu’accord plurilatéral dans l’architecture des traités de l’OMC, mais cela nécessite un consensus entre tous les membres, et certains d’entre eux ne sont pas enclins à l’accepter. Le deuxième traité en attente, toujours en cours d’élaboration par un autre sous-ensemble de membres, relève de l’IDC sur le commerce électronique. Ces traités et les questions relatives à l’architecture juridique qui les entourent sont examinés plus en détail dans l’article de Rashmi Jose figurant dans cette publication.
Les questions sous-jacentes les plus profondes du point de vue de la réforme de l’OMC sont toutefois les questions politiques relatives à la manière dont l’ordre du jour de l’organisation est fixé et à la question de savoir si de nouveaux accords sur des questions telles que le commerce numérique peuvent être négociés parallèlement à (ou, comme le montre l’IDC sur la facilitation de l’investissement, avant) la résolution de questions de longue date telles que les subventions agricoles. De nombreux membres (le groupe d’Ottawa, par exemple) affirment que cela est possible, tandis que d’autres (en particulier l’Inde et l’Afrique du Sud) disent qu’ils ne devraient pas le faire, car cela risquerait d’entraîner l’abandon des progrès réalisés dans des domaines d’une importance fondamentale pour eux, tels que les règles relatives aux échanges de produits agricoles. Ils semblent susceptibles, du moins dans un premier temps, de bloquer le consensus sur l’inclusion de l’Accord FID dans l’architecture des traités de l’OMC.
Modifier la manière dont les membres prennent des décisions
Les initiatives environnementales et les IDC sont des exemples de l’approche de la « réforme par la pratique » que certains membres ont suggérée pour compléter ou remplacer les décisions de réforme formelle douloureusement lentes. Pour certains membres, cependant, la réforme par la pratique équivaut essentiellement à une réforme furtive, et ils ont fait valoir que les décisions concernant le fonctionnement de l’OMC doivent rester inclusives, formelles et fondées sur le principe de la prise de décision par consensus de l’organisation. La question de savoir si et comment les méthodes de travail de l’OMC peuvent intégrer des décisions et des initiatives approuvées par un sous-ensemble de membres est l’un des points les plus conflictuels du débat sur la réforme.
Le consensus garantit que les décisions relatives aux ensembles de règles sur les politiques économiques (telles que la réduction des subventions ou des droits de douane) ayant une incidence réelle sur les secteurs, les entreprises et les emplois, prennent en compte les points de vue de tous les membres. Ce principe confère à ces décisions la légitimité nécessaire pour justifier le fait que la violation de ces règles peut avoir des conséquences économiques réelles. Toutefois, pour que l’équilibre fonctionne, il faudrait que les membres ne bloquent le consensus que lorsque leurs intérêts économiques fondamentaux sont en jeu. Certains membres estiment que d’autres abusent de leur capacité à bloquer le consensus, prenant en otage les progrès réalisés sur certaines questions (y compris celles liées au fonctionnement de l’organisation, comme la nomination des présidents de comités) pour des raisons politiques ou pour obtenir un effet de levier sur d’autres questions. Aucun membre ne semble toutefois favorable à l’abandon pur et simple du principe de consensus, et nombreux sont ceux qui hésitent à proposer le vote, même sur certaines questions.
Ce qu’il adviendra du texte de l’Accord FID et ce que la déclaration ministérielle de la CM13 dira (ou ne dira pas) à propos des discussions sur les questions plus récentes, feront partie des discussions politiques les plus importantes de la CM13.
Ce qu’il adviendra du texte de l’Accord FID et ce que la déclaration ministérielle de la CM13 dira (ou ne dira pas) à propos des discussions sur les questions plus récentes, feront partie des discussions politiques les plus importantes de la CM13. La réunion des hauts fonctionnaires d’octobre 2023 a reflété un appel à l’utilisation d’un consensus responsable, qui peut, par le biais d’une décision formelle ou simplement d’un comportement, représenter un moyen d’avancer. La CM13 pourrait, en fait, être la prochaine occasion pour les membres d’utiliser le consensus de manière responsable pour veiller à ce que l’ensemble des résultats reflète les besoins de tous les membres.
Le traitement spécial et différencié
Dans le contexte de la fonction de négociation de l’organisation, une autre question se pose, celle du développement dans le système des règles de l’OMC. Mon collègue Rashid Kaukab explique deux aspects de ce débat, sur le reclassement des pays les moins avancés et sur les dispositions relatives au TSD figurant dans les accords de l’OMC, dans son article séparé. La principale question en suspens est celle, très controversée, de savoir quels membres devraient avoir le droit d’utiliser les flexibilités du TSD figurant dans les accords de l’OMC.
Le système actuel est très souple : les membres peuvent se désigner eux-mêmes comme pays en développement aux fins des accords de l’OMC, comme ils l’entendent. Cette autodésignation, en particulier celle de la Chine en tant que pays en développement, a fait l’objet de nombreuses propositions de changement. Par exemple, les États-Unis ont proposé que tous les membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, tous les membres du G-20, tous les membres considérés comme « à revenu élevé » par la Banque mondiale ou qui représentent plus de 0,5 % des échanges mondiaux de marchandises soient exclus de l’utilisation du TSD. Plusieurs pays en développement membres, notamment le groupe africain et l’Inde, ont soutenu avec véhémence que le droit de s’auto-désigner est un droit inaliénable dans le cadre du système de l’OMC. D’autres membres ont proposé des approches intermédiaires (discutées ici). Une approche pratique, reflétée dans l’Accord sur la facilitation des échanges et qui sera essentielle pour la deuxième phase de l’Accord sur les subventions à la pêche, consiste à façonner les droits, les obligations et les flexibilités de manière à ce qu’ils soient adaptés au problème spécifique en question.
Il semble peu probable que les membres de l’OMC acceptent un système rénové de droits au TSD de manière générale lors de la CM13. Il est plus probable que l’on assiste à une querelle à propos du libellé de la déclaration de la CM13, où les partisans du changement et ceux qui s’y opposent tentent tous deux de marquer un point pour étayer leur point de vue. Les solutions diplomatiques dans ces circonstances consistent généralement à inclure la formulation de tout le monde ou bien aucune formulation. Surveillez la façon dont le TSD apparaît dans la déclaration de la CM13, ainsi que dans l’Accord sur les subventions à la pêche.
Les travaux des comités : efficacité et transparence
Le dernier point, mais non des moindres, concerne le débat sur l’amélioration du travail quotidien, banal mais important, des nombreux comités de l’OMC. L’une des principales fonctions de l’OMC consiste à assurer la stabilité et la prévisibilité du système commercial international. Dans ce cadre, la plupart des traités de l’OMC exigent des membres qu’ils notifient les mesures qu’ils vont prendre ou qu’ils ont prises et qui ont des incidences sur le commerce, ce qui permet aux autres membres de connaître les changements à venir et d’y réagir, ainsi qu’à leurs entreprises de s’y adapter. Les notifications permettent également aux autres membres de voir si les mesures prises sont conformes aux obligations dans le cadre de l’OMC. La mesure dans laquelle les gouvernements s’acquittent de ces obligations varie énormément d’un sujet à l’autre. Les notifications de subventions industrielles sont notoirement médiocres, tandis que les notifications des subventions agricoles sont légèrement meilleures et que les notifications des réglementations techniques ou sanitaires sont soumises à un rythme satisfaisant. De nombreuses raisons expliquent que les membres ne notifient pas ou mal, notamment le manque de capacité institutionnelle, à la fois en termes de temps et de connaissances, la réticence à en dire trop sur des politiques, telles que les subventions, qui pourraient faire l’objet d’un examen minutieux, et le simple fait qu’il n’y a généralement pas de conséquence à l’absence de notification.
Les membres ne s’accordent toujours pas sur la question de savoir laquelle de ces raisons est la plus importante et devrait donc faire l’objet de solutions en vue d’améliorer le taux de notification. Un groupe de membres développés et en développement, ainsi que l’Union européenne, a suggéré de fournir des outils et des ressources pour faciliter les notifications. D’autres pays en développement, dont le Groupe africain, estiment que le problème fondamental réside dans les capacités humaines. Un résumé plus détaillé est disponible ici. Il n’est pas certain que ces divergences soient surmontées à temps pour qu’une décision soit soumise pour approbation lors de la CM13, mais les membres pourraient convenir de mandater des travaux supplémentaires sur le sujet.
Fait plus encourageant, chaque comité de l’OMC a revu ses procédures et ses méthodes de travail afin d’identifier les améliorations à y apporter. Ces changements (par exemple une meilleure utilisation des systèmes de gestion électronique des documents) feront l’objet d’un rapport à la conférence ministérielle et devraient commencer à être mis en œuvre dans les mois à venir, ce qui facilitera la vie des délégués, en particulier ceux des petites missions. Le Conseil du commerce des marchandises a adopté sa propre série de changements à la fin de l’année 2023. Certains membres ont également identifié des moyens de rendre l’OMC plus ouverte aux parties prenantes, idées discutées ici. À propos de se faciliter la vie, plusieurs membres ont proposé de modifier les procédures de la conférence ministérielle elle-même (comme la tenir annuellement au lieu de tous les deux ans) pour tenter de « dédramatiser » l’événement en réduisant le nombre de décisions difficiles que les ministres doivent prendre au cours d’une réunion unique et épuisante de quatre jours.
Les ministres doivent prendre des décisions concrètes sur le fonctionnement de l'OMC.
Pour l’heure, il est prévu que la CM13 se tienne pendant les quatre jours épuisants habituels. Les ministres ont du pain sur la planche et, pour la première fois depuis longtemps, ils doivent prendre des décisions concrètes sur le fonctionnement de l’OMC.
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